Les enluminures relatives à la vie religieuse
et consacrées aux reliques de la Passion
illustrant le texte de La Destruction de Rome
et de Fierabras dans le manuscrit à peintures
de Hanovre

- Marc Le Person
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Le sort des reliques et leur reconquête : l’action de la grâce de Dieu

 

Olivier boit le baume au baril qu’il vient de prendre à Fierabras

 

      fig. 5. Anonyme, « Fierabras boit le baume du Christ »,
      Fierabras, ms. H, début XIVe siècle,
      Hanovre, Niedersächsische Landesbibliothek, IV-578, f° 37 r°

 

      A gauche, Olivier sur son cheval porte à ses lèvres la bonde du baril contenant le baume sacré, qu’il vient de ravir à son adversaire, tandis que Fierabras lui tourne le dos, emporté par l’élan de son cheval, vers la droite.

 

Sure l’arceon de la seal est ly cops traversés ;
Les liens des barris a tres parmy coupés,
Ceo fu bone aventure, Dieu en soit adourés !
Ly barris volent a terre et luy rois est outrés ;
Ainz qe Fierenbras soit gwenchis ne retornés,
Se beissa Oliver, si les en a levés,
Le basme mist a sa bouche si ad beü assés
[Place de l’enluminure dans le texte]
Quant il avoit beû, si fu sainz et alegrés. (Fierabras, ms H, v. 949-956)
Le coup d’épée atteint l’arçon de la selle et coupe en plein milieu l’attache des barils. Ce fut un heureux hasard, que Dieu en soit adoré ! Les barils tombent à terre, mais le roi est entraîné plus loin [dans son élan]. Avant que Fierabras ne fasse volte-face et ne se retourne, Olivier se baisse et les ramasse. Il porte le baril de baume à sa bouche et boit à satiété. Quand il a fini de boire, il est complètement guéri.

 

      Le Saint Baume qui ne figure pas traditionnellement parmi les reliques de la Passion est une relique un peu en marge et propre à Fierabras et au ms H de la Destruction de Rome, qui l’associent étroitement à la Passion du Christ : dans le même écrin se trouvent deux boîtes d’or fin et pur contenant l’onguent avec lequel le Christ a été embaumé et ses plaies nettoyées, lors de la mise au tombeau : il est capable de guérir, selon les explications du vieux chanoine dans la Destruction de Rome, toute blessure corporelle mais aussi spirituelle, comme nous le montre plus tard la conversion de Fierabras :

 

« Ces boistes sunt playne de basme dunt Dex en fu basmé
Et ses plaies enointz, quant du croice fu ostee ;
Plaies qe en iest enoynt, ja mais ne poet rancler,
Maintenant sera saines, ja n’estoet douter ». (La Destruction de Rome, ms. H, v.1291-94)
« Ces boîtes sont remplie du baume dont Dieu fut embaumé et dont ses plaies furent ointes quand il fut ôté de la croix ; une plaie qui en est ointe ne peut jamais s’infecter ; elle sera désormais saine, il ne faut pas en douter ».

 

Et Fierabras répond ironiquement au moine avant de le tuer : « Mahon, dist Fierenbras, il te poet salver ! » (La Destruction de Rome, ms. H, v. 1295, « Par Mahomet, dit Fierabras, il peut sûrement te sauver ».
      On voit que dans Fierabras ce baume est moins une pommade qui s’applique sur la plaie elle-même qu’une potion qu’on boit comme un remède et qui entraîne la guérison immédiate de toutes les blessures. Fierabras le présente d’abord à Olivier comme un onguent miraculeux (ms. E, v. 550-552), mais ensuite il ne sera plus question que d’une administration par voie orale, aussi bien lorsque Fierabras le propose à Olivier pour guérir sa blessure (ms. E, v. 554-555a), que lorsqu’il soigne la blessure qu’Olivier lui a faite à la cuisse (ms. E, 1064-1068). De même, Olivier ne boit de ce baume qu’une fois, après avoir réussi à s’en emparer et avant de jeter les barils qui le contiennent dans la mer (ms. E, v. 1091-1093).
      En usant de la magie du baume, le Sarrasin triche en quelque sorte, mais il se livre ainsi à son insu aux premiers agissements de la grâce qui opère son œuvre en secret et chemine déjà en lui en guérissant surtout les blessures de son âme de pécheur (ms. E, v. 1064-1068). Ce baume concourt donc à soigner les âmes en favorisant la conversion de Fierabras qui croit en la vertu du baume du Christ pour guérir la blessure physique qu’Olivier lui a faite à la cuisse : assez curieusement, le baume sacré guérit même un infidèle qui l’utilise, après s’en être emparé de manière sacrilège ; mais c’est probablement pour mettre en évidence la miséricorde de Dieu et pour rendre plus éclatant le miracle de la victoire finale d’Olivier qui triomphe, après avoir conquis les barils et les avoir jetés dans l’eau du fleuve, non sans en avoir bu lui-même pour se soigner, il est vrai. Olivier se prive volontairement de cet élément adjuvant, car il croit en la protection de Dieu, et il fait observer au Sarrasin, qui lui demande pourquoi il a jeté le baume dans le Tibre, qu’il est devenu vulnérable depuis la perte des barils (ms. E, v. 1112-17). Toutefois, si Fierabras se dit impressionné et irrité par ce geste audacieux du Français, il ne se sent pas vraiment affaibli par la perte des barils et croit encore en sa force plus qu’en Dieu (ms. A : v. 1071-73).

 

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