De la mise en scène caricaturale du discours
de surnomination politique en Côte d’Ivoire :
une étude de cas

- Dorgelès Houessou
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Fig. 1. Anonyme, Man of Solution, s. d.

Fig. 1a. Voodoo Communication,
Alassane Ouattara Président, 2010

Fig. 2. Anonyme, Magellan
au Congo
, s. d.

Fig. 2a. Hergé, Tintin au
Congo
, 1946

On peut aussi les classer en deux types :

 

Images

Arguments mélioratifs

Arguments dépréciatifs

fig. 1

 « Alassane Ouattara est président
 par la force de la démocratie »

 « Alassane Ouattara est un super-héro
 des coups de force et si coutumier de la
 violence qu’il a financé un coup d’Etat
 contre Bédié, une rébellion contre
 Gbagbo et un autre coup d’Etat contre
 ce dernier »

fig. 2

 « Alassane Ouattara est un homme
 d’une ossature internationale et au 
 charisme mondialement reconnu »

 « Alassane Ouattara est sans conscience
 nationale et l’exemple achevé du bon
 petit soldat représentant les intérêts des
 puissances coloniales d’où son surnom
 de préfet de la France »

fig. 3

 « Laurent Gbagbo est un politique
 professionnel rompu aux arcanes
 de la gestion des collectivités »

 « Laurent Gbagbo est un roublard sans
 honneur ni dignité et qui n’a aucune
 parole »

 « Blé Goudé est un rhêtor si
 achevé que ses propos sont
 toujours vérité [27] »

 « Blé Goudé est un moulin à paroles,
 un pantin sorti tout droit du moule de
 la manipulation »

fig. 4

 « Laurent Gbagbo est diabolisé et
 combattu à cause de son génie
 politique ; C’est le Christ de Mama »

 « Laurent Gbagbo est un arriviste
 politique d’où son surnom de
 « Machiavel des Lagunes ; C’est le
 mal incarné »

fig. 5

 « Blé Goudé est emprisonné
 pour avoir défendu des idées
 courageuses et nobles »

 « Blé Goudé a confondu ses fantasmes
 politiques avec la vérité des faits
 sociaux »


Un message linguistique : De l’anecdote surnominative à l’historicité surnominale

 

      Les surnoms ici caricaturés ont une histoire, celles de leurs origines autant qu’ils font l’histoire, c’est-à-dire qu’ils fixent à chaque actualisation un événement marquant pour la société concernée. De fait ils évoluent en synchronie et en diachronie. C’est ce que révèlent les messages linguistiques contigus aux images que nous analysons.
      Le surnom « Ado [28] Solutions » est décerné à Alassane Ouattara par substitution métonymique car ce dernier déclare lors de la campagne présidentielle d’octobre 2010, être le candidat capable d’apporter les solutions idoines aux problèmes des ivoiriens. Le slogan « Ado Solutions » qui sera décliné lors du second tour « RHDP Solutions » (fig. 1a) atteint un tel seuil de réussite perlocutoire qu’il devient un surnom prospère. L’originalité de cette image (fig. 1) relève d’une triple innovation : la première consiste à établir un parallèle entre le titre d’une superbe production hollywoodienne « Man of Steel » désignant le super-héros anciennement nommé « Superman » et le surnom d’« Ado Solutions ». L’on obtient alors la paraphrase ironique « Man of Solution ». La seconde originalité expressive est la singularisation du lexème « Solution » qui est initialement au pluriel pour désigner les propositions de gouvernance du candidat Ouattara. Cet usage du singulier opère un transfert métonymique nouveau. Ledit candidat ne propose plus de « solutions » aux ivoiriens, il incarne désormais l’ensemble de ces « solutions » et devient dès lors la « solution » ultime aux maux de la Côte d’Ivoire, l’unique « solution », d’où une connotation messianique voire christique à son engagement politique. La troisième originalité expressive de ce syntagme est qu’il allie icone graphique et graphie iconique. En effet, le « S » sur le costume qui invite justement à être pris pour tel n’en est pas un en réalité. En langue extraterrestre [29], il signifie « espoir » comme pour rappeler aux ivoiriens que Ouattara est le seul espoir à leur désir de démocratie et de paix. L’on remarque ainsi la postérité diachronique en termes de surnomination de ce qui à l’origine n’était qu’un simple slogan de campagne !
      Aussi la concaténation entre l’intitulé « Man of Steel » et le surnom « Ado Solution » évolue-t-elle en vertu de points de référence commun jusqu’au paroxysme de l’identification diégétique. En effet, Kal-El (Man of Steel), du nom originel qui lui vient de ses parents est un extra-terrestre élevé comme un humain dans une famille d’adoption. Le photomonteur n’ignorant pas ce détail laisse transparaitre en toile de fond le débat sur les doutes liés à l’ivoirité d’Alassane Ouattara que Gbagbo, Bédié et Guéï ont successivement traité d’étranger et d’originaire du Burkina Faso. Ainsi, comme le super-héros, il est d’ailleurs et tiraillé entre la sympathie de ceux qui l’estiment et le désamour de ceux qui lui reprochent sa différence. Ado Solution devient donc certes Man of Solution mais aussi Man of Steel car les sèmes de puissance et de force du super-héros sont revendiqués par l’homme d’Etat qui affirmant, au risque de susciter une prise à la lettre du signifié dénotatif, être l’« indéboulonnable » [30] créait ainsi une variante à valeur métonymique du surnom Man of Steel, lui-même connotatif du caractère impitoyable voire inhumain de « l’homme d’acier » donc au cœur d’acier !
       Selon la presse d’opposition Ouattara en tant que président a battu des records d’absentéisme. Les statistiques avancées sont sans appel au point où il est sacré « champion du monde des voyages de chefs d’Etats du XXIème siècle » [31] par le site ivoirebusiness.net pour avoir établi le record de « 19 voyages en 6 mois en 2013 ». Le site commente encore :

 

Des observateurs avisés de la vie politique ivoirienne estiment même qu’en un peu plus de deux ans seulement (11 avril 2011-30 juin 2013), Ouattara a effectué plus de voyages hors du pays que Félix Houphouët-Boigny en trente-trois ans. Les totaux cumulés des voyages de Ouattara dans cette période dépassent la centaine [32].

 

Le but avoué de tels propos est de caricaturer un dogme idéologique cher à ses adversaires. Ceux-ci diffament Ouattara pour le caractère systématique de ses penchants à l’endettement puisqu’il brandit comme un atout politique sa parfaite connaissance des milieux financiers internationaux. Ainsi le surnom « Magellan » traduit bien l’idée d’une gouvernance sous la dictée du colonisateur. La gravité d’une telle dévalorisation a conduit Ouattara à une riposte adéquate. Ne pouvant nier l’évidence de ses nombreux déplacements et la popularité d’un tel surnom il finit par affirmer au cours d’une conférence de presse : « Je voyage, ce sont des démarches diplomatiques. On m’appelle Magellan mais Magellan est Content… » [33].
Et de préciser encore une autre fois :

 

Nous avons un calendrier qui est bouclé jusqu’en mars 2013. Ce que je veux préciser messieurs les journalistes, ces voyages, c’est pour apporter de l’argent au pays. Je suis Magellan c’est vrai mais je suis heureux d’avoir la force physique de faire ces voyages pour ramener de l’argent à la Côte d’voire. Nous continuerons et nous n’allons pas perdre de temps. Nous voulons transformer le quotidien des ivoiriens et l’image de la Côte d’Ivoire pendant le mandat que les uns et les autres ont bien voulu me confier [34].

 

      L’on comprend dès lors pourquoi le surnom « Magellan » est utilisé pour désigner Alassane Ouattara. Cette image (fig. 2) fait d’ailleurs le tour des réseaux sociaux à l’annonce d’un voyage de Ouattara au Congo. La réussite stylistique dans ce contexte scripto-iconique consiste en une redondance référentielle du sujet Ouattara dans la mesure où il est convoqué syntaxiquement et iconiquement. « La redondance est le corrélat sémantique du phénomène syntaxique de la co-référence » [35]. Cela est d’autant plus vrai que la substitution syntagmatique opérée entre le titre d’origine de la BD, « Les aventures de Tintin – Tintin au Congo » (fig. 2a) et la paraphrase ironique « Les aventures de Magellan – Magellan au Congo » (fig. 2), induit ipso facto une parenté sémique entre Magellan et Tintin, entre l’explorateur historique et le célèbre casse-cou de personnage fictif de BD qui figure pour l’énonciateur sur un même axe paradigmatique. Bien sûr /voyages/ et /découvertes/ les réunissent tous deux mais l’intérêt de cette configuration est de les rendre interchangeables avec le référent « Alassane Ouattara » en sorte que ce dernier réponde aussi désormais au surnom de « Tintin » plus cocasse et irrévérencieux que celui de « Magellan ». Nouveau saut diachronique donc car si le chef de l’exécutif ivoirien dit être « content » du surnom « Magellan », il ne lui viendrait jamais à l’esprit de revendiquer celui de « Tintin » beaucoup plus dévalorisant en raison de son mode de construction (redondance phonique) et de sa connotation phonique (babil enfantin).

 

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[27] On se souviendra d’ailleurs que l’un de ses slogans les plus populaires est le syntagme « C’est ça qui est la vérité ! » dont il ponctuait souvent ses discours et interventions diverses.
[28] ADO est le surnom hypocoristique le plus célèbre de ce dernier car il est siglé donc constitué de ses initiales : « A » pour Alassane, « D » pour Dramane et « O » pour Ouattara.
[29] Voir la diégèse filmique disponible en ligne : Man of Steel (juillet 3 2015), Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 21 août 2015.
[30] Voir par exemple l’article « Cote d’Ivoire : Dramane Ouattara : “Je suis indéboulonnable”, Afrique 2050.
[31] Voir l’article « Ouattara champion du monde des voyages de chefs d’Etats du XXIème siècle », Ivoirebusiness.net, 17 juillet 2013.
[32] Ibid.
[33] Visite d`Etat dans le district des Savanes. Samedi 6 juillet 2013. Sinématiali. Meeting du chef de l`Etat. Propos recueillis et disponibles en ligne sur le site Panafrican.com.
[34] Conférence de presse du chef de l’Etat au terme de sa visite d’Etat dans le Zanzan. Propos recueillis et disponibles en ligne sur le site  : linfodrome.com.
[35] J.-M. Klinkenberg, « La relation texte-image. Essai de grammaire générale », Bulletin de la Classe des Lettres. Académie royale de Belgique, 6e série, t. XIX, 2008, pp. 21-79.