De la mise en scène caricaturale du discours
de surnomination politique en Côte d’Ivoire :
une étude de cas

- Dorgelès Houessou
- Maxime Cartron
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Fig. 3. Anonyme, Pour faire du bon pain..., s. d.

      Le discours surnominal caricaturé dans une telle situation frise la diabolisation littérale. Il atteint alors les plus hauts degrés de l’insulte nominative comme indice de violence morale. Cette violence non seulement est ressentie comme telle par les partisans et alliés du sujet raillé mais déclenche aussi de leur part une réaction similaire en retour. Ainsi le concept de guerre médiatique évoqué dans le contexte ivoirien se justifie ici scripto-iconiquement.

      La troisième image (fig. 3) de notre corpus est un exemple abouti de métonymie visuelle car elle couve plusieurs niveaux de substitution :
      Une métonymie de l’action pour l’agent : le surnom de « boulanger » attribué à Laurent Gbagbo prospère en une variante lexicale fondée sur ce rapport de contiguïté. Il est en effet appelé « L’enfarineur » par une bonne partie de ses adversaires, d’où la relation syntagmatique entre son image de boulanger et celle d’un sac de farine. Cette variante traduit mieux le ridicule de la situation si l’on considère que ce surnom induit littéralement que tout chef de l’Etat qu’il fut, Laurent Gbagbo jetait littéralement de la farine au visage de ses opposants car les expressions « rouler quelqu’un dans la farine », « jeter de la poudre aux yeux de quelqu’un » traduisent bien la roublardise qui lui était ainsi reprochée.
      Une métonymie de l’agent pour la matière : Charles Blé Goudé, farouche et des plus fidèles admirateurs de Laurent Gbagbo est assimilé au blé nécessaire à la fabrication de la farine voire à la farine elle-même. Cette substitution considère en effet l’heureuse coïncidence homonymique entre l’agent nommé Blé et la matière également ainsi désignée. Cela connote sans doute le rôle mobilisateur de ce dernier au bénéfice de son mentor. C’est lui qui en effet cristallisant la technique de communication de Laurent Gbagbo en proie à une rébellion militaire initia le concept de « la résistance aux mains nues » face au quarante troisième BIMA de l’armée française traitée d’armée d’occupation soutenant les rebelles. On peut déduire de ce lien de contiguïté particulier une première métonymie de la matière pour le produit : « Le blé pour la farine » ; une deuxième métonymie de la matière pour le produit : « La farine pour le pain » et une troisième métonymie de la matière pour le produit : « Le blé pour le pain » ; une première métonymie du produit pour la matière : « La farine pour le blé » et une deuxième du produit pour la matière : « Le pain pour la farine » et une troisième du produit pour la matière :« Le pain pour le blé ». Toutes traduisent la parenté isotopique entre Laurent Gbagbo (le mentor-boulanger et parangon idéologique) et Blé Goudé (le filleul-blé/farine/pain et exécuteur propagandiste de l’idéologie de son maître).
      Une métonymie du lieu pour l’agent : le surnom de boulanger en sa formulation initiale inclut un repère topographique à connotation politique. « Le boulanger d’Abidjan » est donc le chef de l’exécutif ivoirien si tant est que la ville d’Abidjan est métonymique du pouvoir politique en Côte d’Ivoire. On se souviendra par exemple que même ayant sous son contrôle le nord et l’ouest du pays voire tout le territoire ivoirien à l’exception d’Abidjan, la rébellion était incapable de gouverner ; d’où le caractère décisif de la bataille d’Abidjan en 2010 car pour cette dernière contrôler la capitale économique ivoirienne équivalait nécessairement à la défaite militaire du « boulanger d’Abidjan ».
      Une métonymie de l’agent pour l’instrument : l’icône du moulin représentant Charles Blé Goudé induit une série de substitutions toutes aussi cocasses les unes que les autres. Celle de l’homme pour machine sur laquelle il travaille à moudre. On remarquera l’à propos de l’expression « moulin à paroles » dans ce cas de figure particulier et qui s’accommode de la circonstance. Celle du lieu pour l’instrument (le moulin pour le bâtiment qui l’abrite) en considérant que cette interprétation est par dénotation liée au mot « moulin » de même que celle qui l’élargit par extension à l’entreprise manufacturière et qui connote ici une nébuleuse idéologique. Une acception normée du moulin en fait un endroit où n’importe qui peut entrer, ce qui en fait donc un endroit peu crédible et peu soigné, un lieu sans contrôle ni rigueur comme cela fut reproché à la gouvernance de Laurent Gbagbo. Enfin, toujours par allusion dénotative, le moulin désigne une machine quelconque pourvue d’un moteur. Cela traduit bien la mécanique de l’organisation des grandes marches et des rassemblements organisés par « la galaxie patriotique », autre surnom donné à la structure qui réalisait « la résistance aux mains nues ». Une mécanique proche de la « machination » au sens de la manipulation des masses.
      Une métonymie du temps pour l’agent : l’icône graphique indiquant la date de péremption sur le sac de farine inclut un glissement métonymique ironique plein d’originalité. En effet la date du « 30 Septembre » annoncée comme étant celle au-delà de laquelle Charles Blé Goudé dit « Blé la farine » serait indigeste à la consommation n’est guère fortuite. En effet le mandat d’arrêt émis contre lui par la CPI a été délivré sous scellés le 21 décembre 2011. La levée des scellés se fera justement le 30 septembre 2013 et l’audience de confirmation des charges débutera un an plus tard soit le 29 septembre 2014. C’est dire que sa déchéance juridique au plan international est rendue publique et surtout officialisée à partir de cette date et qu’il s’ensuit l’affliction d’un discrédit plus ou moins prononcé dans l’opinion publique. Sa parole alors n’est plus parole du combattant pour la justice et la démocratie comme il le laisse entendre, mais parole de criminel présumé ou confirmé selon les opposants les plus radicaux.

      b- Prémisses et arguments visuels

      Les prémisses et arguments que nous citons ici sont produits par des observateurs de la vie politique ivoirienne et des partisans d’hommes politiques ici caricaturés selon les surnoms dont ils sont affublés. Ils sont disponibles sur la plupart des forums et laissés en commentaires des publications de presse sur Internet [24]. Nous en proposons une synthèse qui s’accommode des images présentées.

- Les prémisses rhétoriques visuelles

 

Ce sont des sèmes iconographiques qui connotent globalement l’équivalent d’une prémisse : l’image de deux êtres de sexe différent, adultes, contemplant avec amour un bébé, qui suivant un code iconographique, connote « famille » devient une prémisse argumentative du type : « une famille heureuse est une chose digne d’être appréciée » [25].

 

Partant de ce principe, on peut déduire un certain nombre de prémisses que connotent les images de notre corpus :


Images

Prémisses mélioratives

Prémisses dépréciatives

fig. 1

 « Alassane Ouattara est puissant
 et fort »

 « Alassane Ouattara est un homme
 de guerre »

fig. 2

 « Alassane Ouattara est un
 aventurier »

 « Alassane Ouattara est un
 apatride »

fig. 3

 « Laurent Gbagbo est un technicien
 de la politique »

 « Laurent Gbagbo est un
 bonimenteur sans scrupules »

 « Blé Goudé est un tribun, c’est un
 leader doté d’un grand charisme »

 « Blé Goudé est le perroquet de
 Gbagbo, il n’a aucune personnalité »

fig. 4

 « Laurent Gbagbo est un génie
 politique »

 « Laurent Gbagbo est un politique
 diabolique et un démon politique »

fig. 5

 « Blé Goudé est un prisonnier
 innocent »

 « Blé Goudé est un agitateur social
 et un amuseur public dénué du
 moindre sens des responsabilités »


- Les arguments rhétoriques visuels

 

Ce sont de véritables concaténations syntagmatiques, dotées de capacité argumentative ; ils se rencontrent au cours d’un montage cinématographique, où la succession-opposition entre différents plans, communique de véritables affirmations complexes du type : « le personnage X s’approche du lieu du crime et regarde d’un air ambigu le cadavre ; c’est donc certainement lui le coupable de l’homicide ; c’est au moins quelqu’un qui en profite » [26].

 

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[24] Nous ne citons guère l’ensemble des sites de référence faute d’espace ici. Voir notamment et entre autres les articles « Meeting avorté du FPI le samedi 15 octobre / La direction du FPI : “Une peur-panique s’est emparée du pouvoir…” », @bidj@n.net, 17 octobre 2011, et « Détenu à Bouna, Michel Gbagbo passe quelques heures au CHR de Bondoukou », @bidj@n.net, 18 octobre 2011.
[25] U. Eco, « Sémiologie des messages visuels », art. cit., p. 40.
[26] Ibid.