- Antoine Bouvet

A propos de l’exposition Titus-Carmel,

à la Bibliothèque Diderot de Lyon, du 8 au 26 novembre 2023

Du 8 au 26 novembre 2023, la Bibliothèque Diderot de Lyon contribuait à célébrer les quinze ans de la revue Textimage en revenant sur l’œuvre de Gérard Titus-Carmel, lieu de rencontre entre la poésie et la création plastique. La rencontre « De vive voix » organisée par la Bibliothèque Diderot le 23 novembre 2023, a aussi été l’occasion d’une discussion avec l’artiste, animée par Jérôme Thélot, professeur émérite de l’Université Jean Moulin Lyon 3, critique et poète.

La revue Textimage ayant consacré un numéro complet à Gérard Titus-Carmel en 2013, nous ne saurions mieux évoquer son travail ou retracer son parcours qu’en renvoyant aux excellents articles qui le composent.

En arrivant devant les vitrines de l’exposition, disposées à l’entrée de la Parenthèse, lieu de convivialité de la Bibliothèque Diderot, les visiteurs sont invités à cheminer dans la poésie et les images de Gérard Titus-Carmel. L’exposition se concentre sur une part très précise du travail de l’artiste-poète en faisant figurer une trentaine d’ouvrages qu’il a illustrés, et parfois écrits. Ce choix d’une taille modeste et d’un ensemble uniforme d’œuvres-livres tisse immédiatement un lien d’intimité et de familiarité entre le visiteur et le travail de Titus-Carmel. Les livres et les planches sont disposés avec sobriété dans un espace concentrique de petites vitrines qui nous permettent de circuler de texte en texte et d’image en image, de les approcher pour se plonger dans les couleurs et lire au passage les quelques poèmes qui figurent sur les pages ouvertes. Les images bien connues de Titus-Carmel – ondulées, vives, végétales – répondent à l’encre noire et aux blocs typographiques des poèmes. Son nom en accompagne d’autres : des noms du passé, bien connus, tirés des lectures d’un réel amateur de poésie (Pétrarque, Apollinaire), et des noms plus récents, tout aussi célébrés, camarades d’écriture et de création (Bonnefoy, Jaccottet).

On chemine, en effet.

D’abord sur des lignes noires. Tantôt tremblantes et tantôt souples, d’encre et de fusain. Ce sont les virgules déliées et les rayures épaisses de Serpentes. Ce sont aussi les géométries courbes et les filets entrelacés donnés à Chanfrein de Jacques Dupin, et au Livre de Lioube de Jean-Pierre Faye, au centre de l’exposition, ou, dans une autre vitrine, les rhizomes noirs qui quadrillent les pages des Voix dans l’obscur de Françoise Ascal. On retrouve aussi les branchages enrubannés de la Suite italienne, qui sertissent ici le recueil de Pascal Quignard, Sarx, en noir et gris, doublés à la sanguine.

On chemine alors naturellement vers ces teintes ocres et cuivrées de la sanguine, qui accompagnent souvent le noir chez Titus-Carmel. Au fil de la déambulation, l’orangé tiède et doux de Sarx se change en un rouge éclatant et profond au contact de la prose sinophile de Victor Segalen dans Si-Ling. Un rouge insaisissable et liquide qui se dissipe, au-dessous, en un rose tendre dans les Liserons de Philippe Jaccottet, ou bien, dans la vitrine adjacente, s’affermit en un orange vif d’une surprenante matérialité, terreux et gras, dans le désert de Vagho, que Titus-Carmel écrit et illustre. La chaleur de ces couleurs se transmet à la vitrine suivante, dans laquelle on voit des pointes de jaune – pâle, discret et léger quand il accompagne les Poèmes au calme d’Antoine Emaz ; vif, entêtant et festif sur les pages de Dans la parole de l’autre de James Sacré.

Pour finir, évidemment le vert. Celui, paisible et frais, des forêts de fougères qu’il prête à Ales Stenar d’Yves Bonnefoy, à Aimance d’Abdelkébir Khatibi et qu’il appose sur ses propres Paysages à revers. Ces motifs végétaux accompagnent une bonne partie des ouvrages disposés dans l’exposition, faisant néanmoins varier les formes : de la plante solitaire qui accompagne un sonnet de Pétrarque – dans l’anthologie traduite par Yves Bonnefoy, Je vois sans yeux et sans bouche je crie – à la fougère de Semper dolens, qui se déploie dans un vert profond et aquatique et semble danser sur la page comme une algue.

Enfin, une dernière vitrine présente quelques livres précieux et rares aux formats parfois inhabituels, comme le petit accordéon peint à seize faces intitulé Légendes. Le chemin se termine donc avec des touches d’un bleu abyssal et irisé sur les pages du recueil de Titus-Carmel, Horizon d’attente, et dans L’Après-midi à Ugarit de Salah Stétié.

Cette question du cheminement dans la couleur était précisément la première adressée par Jérôme Thélot à Gérard Titus-Carmel lors de la rencontre « De vive voix » du 23 novembre 2023. Jérôme Thélot, revenant à sa découverte de l’œuvre de Titus-Carmel lors de l’exposition qui lui fut consacrée au Centre Beaubourg en 1978, remarquait la distance parcourue par l’artiste au fil de sa carrière : l’œuvre de jeunesse, noire, sombre, les « abstractions d’objets qui n’en sont pas », cède aujourd’hui devant le plein de la couleur, ses nuances, ses évocations, sa matérialité – sa sensualité même. L’occasion pour Gérard Titus-Carmel de revenir sur son initiation aux images, et de nous confier qu’elles ont toujours été présentes à lui dans le voisinage des mots de la littérature. D’abord, le jaune et les couleurs vives des livres de poche, découverte tardive au hasard d’une librairie et qui deviendrait bien vite une passion : les paysages imaginaires de Faulkner, dans Le Bruit et la Fureur, et de Gogol avec Les Ames mortes, manifestant l’évidence d’une carrière à venir qui consisterait à travailler les formes et la matière, à composer des images. S’ensuivent les premières expériences picturales : les premiers essais à la peinture Cobra, les visites au Musée du Louvre, puis au Musée d’Art moderne, la révélation du surréalisme à travers les tableaux de Francis Picabia, Max Ernst et Yves Tanguy, la peur d’être « trahi » par cet art dont il s’est pris à soupçonner l’obsolescence, et quelques échanges parfois cocasses avec André Breton. Gérard Titus-Carmel a surtout saisi ces questions pour revenir sur l’évolution de ses goûts et l’ajout, au fil du temps et des œuvres, de nouvelles influences. Il a notamment confié avoir commencé par douter, dans sa jeunesse, de la franchise de ce qu’il estimait être les agents d’un « bon goût français » – Matisse, Valéry, Ravel – le doute se dissipant et se reformant finalement en une solide admiration, une impression de fraternité artistique.

 

>suite