Richard Cooper offre pour sa part un panorama passionnant des psaumes illustrés entre 1550 et 1560, essentiellement en France, mais avec quelques incursions en Angleterre. Images en excellente résolution à l’appui, il prouve que les artistes des règnes de François Ier et Henri II ont été nombreux à orner ce corpus religieux, qu’ils aient du reste été huguenots ou catholiques. Yves Pauwels prend le relais en s’arrêtant sur l’année 1549, décisive non seulement en littérature (que l’on songe simplement à la tapageuse Deffence, et illustration de la langue françoyse de Du Bellay), mais également en architecture. C’est que les premières publications de la jeune Pléiade ont partie liée avec l’entrée royale de Henri II à Paris, riche en productions artistiques de tout type. Au milieu de ce massif éditorial, mêlant lettres et architecture, resurgit parmi d’autres Jacques Androuet du Cerceau, auteur des XXV exempla arcuum. La fin du règne de François Ier et le début de celui de Henri II coïncide de fait avec la naissance d’une figure artistique d’autorité nouvelle, celle de l’architecte.

La troisième partie « texte et image : dispositifs intersémiotiques » se concentre sur des œuvres dans lesquelles les dispositifs iconographique et textuel sont interdépendants, que les objets soient attendus et connus – dans le cas de l’emblème – ou moins travaillés, pour les cartes ou encore les horoscopes. A cet égard, Emeline Sallé de Chou ouvre la série en étudiant de près le manuscrit intitulé Révolution de la nativité, attribué à François Demoulins de Rochefort (ou Desmoulins ou Des Moulins), précepteur et aumônier de François Ier. Les horoscopes de la famille royale pour l’année 1511 s’accompagnent de trois dessins aquarellés (reproduits avec bonheur en couleurs dans l’article), comportant de brèves inscriptions latines. De la conjonction absconse de ces divers éléments (pour certains inspirés d’Erasme), naît alors une forme de parabole morale semblable à certains miroirs à l’usage du prince.

L’association du texte et de l’image s’avère tout aussi cruciale dans l’article signé par Emmanuelle Hénin, laquelle s’intéresse au Recueil des inscriptions, figures, devise et masquarades ordonnées en l’Hôtel de Ville de Paris, le 17 février de 1558 (Wechel, 1558) de Jodelle, mandaté par le conseil municipal parisien pour rendre hommage à la prise de Calais. Jodelle incarne l’artiste total, responsable non seulement des textes à écrire ou réciter (devenant acteur et interprète), mais aussi du décor, à la façon d’un metteur en scène. A la suite du fiasco des mascarades, Jodelle se justifie et se dédouane dans un ouvrage qui s’apparente à un recueil d’emblèmes, assumant à nouveau l’entier du dispositif iconographique. On appréciera tout particulièrement l’habileté de l’autrice pour décrypter le programme politique né de ce « bricolage emblématique » (selon l’expression reprise à Daniel Russell).
La tonalité se fait un peu plus polémique dans l’étude suivante d’Estelle Leutrat, consacrée à Jacques de Fontany, spécialiste de placards illustrés au profil singulier : maître de la confrérie de la Passion, auteur polygraphe, en étroite collaboration avec les éditeurs et marchands d’estampes, Fontany est également céramiste. Au fil de la démonstration, ce dernier se présente comme un véritable « professionnel du placard », pratique qu’il décline de plusieurs manières : placards historiques sur fonds de querelles religieuses, galeries d’hommes illustres ou encore pièces de circonstance. On notera au passage que l’analyse détaillée de la sociabilité entre les différents acteurs du placard illustré pourrait d’ailleurs tout aussi bien répondre au deuxième axe du volume.

C’est ensuite à l’examen de la « bibliothèque géographique » que s’attache Lisa Pochmalicki : récits de voyage, cosmographies et atlas présentent à tour de rôle des illustrations, depuis les planches représentant les costumes orientaux jusqu’aux dessins cartographiques les plus détaillés. Dans ce contexte chorographique, une place prépondérante a été accordée à l’iconographie urbaine, orientale ou indienne.

Le quatrième et dernier compartiment du volume « Transposition et appropriation des formes » concerne plus spécifiquement les transferts d’une forme artistique à l’autre. Blandine Perona s’intéresse ainsi à la satire et aux « images cachées » ou « doubles », entendues comme des invitations au déchiffrement : du spectateur, de l’auteur et du lecteur. A cette fin, deux œuvres sont mises en relation : Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné et Le Moyen de parvenir de Béroalde de Verville, toutes deux publiées en 1616.

Nicolas Cordon, quant à lui, se penche sur le décor de la chambre de la duchesse d’Etampes à Fontainebleau, exécuté par Primatice entre 1542 et 1545. Il tente de faire dialoguer l’Aphrodite de Cnide avec la copie de la Vénus du Belvédère et avec l’entreprise collective des blasons anatomiques du corps féminin, lancée par le « Beau tétin » de Marot. Il s’agit de faire apparaître leur dimension aphrodisiaque, c’est-à-dire à la fois le rapport à Vénus et son pouvoir effectif, qui fait naître le désir. La déesse se verrait de la sorte « performée » pour consacrer in fine le triomphe de la duchesse d’Etampes.

Valérie Auclair clôt enfin le volume avec un article fouillé qui pose la question centrale et néanmoins épineuse du partage de l’autorité dans les cas d’une collaboration entre différents artistes. Elle part d’un exemple original, à savoir l’Histoire de la royne Arthemise de l’invention de Nicolas Houel, qui éclipse totalement le nom des multiples collaborateurs de l’entreprise au profit du seul apothicaire parisien, auteur et commanditaire de l’œuvre qu’il destinait à Catherine de Médicis. Alors que la reine Artémise devient dès lors progressivement l’alter ego de cette dernière, le manuscrit s’achève sur une prise de position en faveur de celui qui sait « inventer », terme englobant que Nicolas Houel affichait dès le titre, et qui sert à saisir la diversité de ses opérations.

On l’aura compris, l’intérêt de ce volume – où les études de cas alternent avec des enquêtes plus transversales – est indéniable, en ce qu’il contribue à combler une lacune importante dans l’étude de la sociabilité intermédiale à la Renaissance. Il est en outre appréciable de lire des études dédiées à des objets pour la plupart peu travaillés et on saluera de même la diversité des objets et des perspectives d’analyse. L’ensemble redonne ses pleins pouvoirs à la notion d’ « image », souvent galvaudée dans les études littéraires, tantôt au sens vague de « métaphore », tantôt au sens de « représentation abstraite », mais presque jamais au sens littéral. Or si la culture de la Renaissance est visuelle, elle est tout aussi bien matérielle, faisant apparaître des relations entre les arts qui relèvent autant de la rivalité que de la « fraternité », pour reprendre une expression de Michel Jeanneret. A cet égard, on aurait envie de prolonger l’enquête en donnant plus d’importance encore à d’autres profils sociologiques, tels que les porcelainiers, les orfèvres, les drapiers ou encore les verriers. La prise en compte de ces acteurs trop souvent délaissés permettrait de faire ressortir le caractère parfois moins artistique qu’artisanal de nos objets.

 

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