La dernière partie, « La fonction des enluminures dans les manuscrits du Bestiaire », surprend un peu dans la mesure où, en réalité, ce ne sont pas les enluminures qui sont étudiées mais c’est le principe même du bestiaire qui est rappelé : « Dieu n’a pas besoin de passer par la parole ou la lettre, il s’exprime directement dans les choses de la nature » (p. 37). Toutefois, le dernier paragraphe recentre véritablement la réflexion sur la question de l’enluminure, de manière fort convaincante.

La deuxième partie commence par un « avertissement au lecteur » qui reprend des éléments donnés dans la première partie de l’ouvrage, permettant ainsi de ne pas lire le livre in extenso, celui-ci étant conçu comme un « manuel. » (p. 7) La totalité des images commentées, comme dans tous les RILMA, est reproduite en couleurs en fin de volume. Cette spécificité de la collection est extrêmement appréciable.

Rémy Cordonnier suit la même méthode : un résumé du chapitre, une description des images puis une interprétation. Celle-ci est toujours riche : elle explicite les différentes sources auxquelles Guillaume est allé puiser, mentionne les différences entre texte et image et par là évalue le gradient de signification entre les deux. Pour le pélican, par exemple : « la miniature enrichit la lecture du texte par des précisions qui n’apparaissent pas dans ce dernier » (p. 59), ou pour le phénix : « la miniature enrichit le texte, en faisant une place importante à la descente aux Limbes » (p. 67), ou encore pour le singe : « le texte ne permet pas a priori de trancher s’il parle ici de véritables singes domestiques (…) ou si le terme « altres » indique qu’il s’agit ici d’une métaphore pour désigner des hommes au caractère mélancolique. C’est en tout cas cette seconde hypothèse que l’enlumineur a choisi d’illustrer. » (p. 99) Ces précisions inviteraient peut-être à une étude plus systématique des différences entre texte et images pour observer les éléments ajoutés par l’enlumineur ou les aspects sur lesquels il insiste.

De manière générale, on regrettera peut-être un point dans ce riche ouvrage qui offre une synthèse d’excellente qualité : l’absence d’une pensée globale, totalisante, de l’image en elle-même malgré de belles intuitions sur la mise en réseau des images. Ainsi, p. 69, à propos de la huppe (C11), l’auteur indique que « le positionnement des lits des parents n’est pas sans rappeler la composition de la moralisation du caladre (C6) » ou à propos du cerf (C31) : « Le fait que dans l’enluminure le combat aux Enfers reprenne un schéma de composition identique à celui des différentes descentes aux Limbes de notre manuscrit (C7, C10, C33) n’est pas anodin. » (p. 120). De ce point de vue, on s’étonne que ne soit jamais utilisé le concept de « sérialité », travaillé par Jérôme Baschet [4], peu convoqué (une seule référence) dans une bibliographique pourtant extrêmement riche et stimulante.

Mais cette remarque finale justifie en réalité l’appartenance de l’ouvrage à une collection dont il est précisé que « le but n’est pas de produire sur ces ensembles iconographiques des études définitives, mais de mettre à la disposition de la communauté scientifique un matériau essentiel, dans une démarche analogue à l’édition critique des textes [5] », et l’ouvrage de Rémy Cordonnier répond parfaitement à cette ambition.

 

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[4] On peut se reporter à : Jérôme Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie », dans Annales. Histoire, Sciences sociales, 51-1, 1996, pp. 93-133 ; Jérôme Baschet, L’Iconographie médiévale, Paris, Gallimard, Folio Histoire inédit, 2008 ; Jérôme Baschet, « Corpus d’images et analyse sérielle », dans Jérôme Baschet et Pierre-Olivier Dittmar (éds), Les Images dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, 2015.
[5] Voir la présentation du RILMA dans le volet rabattant de la couverture.