Si l’enfant/adolescent  est une porte d’entrée, on ne le suit pas forcément dans son quotidien. Ainsi  pour la jeune fassie, il n’est quasiment pas question d’école (seule une mention  d’une école privée et de son probable avenir d’étudiante à l’étranger). Les activités du jeune Reda ne sont pas vraiment mentionnées (tentation de se  livrer, comme son frère, à de petits trafics) ; pour Anissa, seulement, le  partage entre fréquentation irrégulière de l’école et garde du troupeau est  précisé et même détaillé, suggérant sans l’expliciter le taux de scolarisation  encore très bas au Maroc. En revanche, il peut être question des activités des  autres membres de la famille : le père de Leila est un homme d’affaire  dans le tourisme, ce qui donne lieu à précision sur le tourisme au Maroc, sur  les infrastructures ; le frère de Reda est un petit trafiquant, d’où  quelques développements sur les trafics, la contrefaçon et la production de  cannabis ; la situation de la petite paysanne du Haut-Atlas, qui travaille  déjà comme une adulte, engendre  des développements sur l’agriculture traditionnelle et sur sa fragilité.
   Les informations sont  ainsi agrégées aux situations des personnages : la situation du jeune Réda  dans le bidonville permet aussi de revenir sur l’histoire de sa famille,  originaire du Sahara occidental ou encore sur la montée de l’islamisme dans les  quartiers pauvres, contrebalancée par un apport sur les « valeurs de  l’Islam » défendue par la mère du jeune garçon. L’amitié entre la jeune  fassie et une amie juive marocaine permet un apport de savoir sur l’histoire de  la présence juive au Maroc.
   Si l’ouvrage cherche à  rendre compte du point de vue des enfants, il est souvent un prétexte à un  développement informatif beaucoup plus surplombant.
   Malgré une maquette  finalement assez figée, le fonctionnement par agrégation crée un parcours,  certes linéaire dans le processus de lecture, mais qui évite l’impression de  présentation systématique et répétitive qui aurait pu être imposée par des  entrées similaires pour chaque enfant, ce qui n’est pas tout à fait le cas.  Chaque partie consacrée à un des enfants ne suit donc pas le même parcours,  même si l’on retrouve des éléments qui se donnent comme des  incontournables : ainsi chaque présentation s’achève sur l’évocation d’une  fête traditionnelle, marquant l’attachement de chaque communauté à des  traditions.
   L’enfant-prisme qui  guide l’entrée dans ces différents espaces socio-culturels est présenté de  manière habile et relativement efficace dans un réseau de relations, de déplacements et de territoires qui permet de rendre compte de manière  intéressante de la diversité du pays et d’espaces qui ne sont pas toujours des  lieux partagés, à l’image de la société marocaine où la séparation des classes  et des communautés reste très marquée.
    
   Nous avons été  finalement surprises de l’ampleur de notre corpus dans ces années 1980-2010 sur  les portraits de pays. Il correspond néanmoins à l’explosion du genre  documentaire en littérature de jeunesse remarquée par Claudine Hervouët [30]. Il est assez notable  de voir que les éditeurs historiques de la littérature de jeunesse font des  propositions, tout comme des éditeurs plus confidentiels ou inattendus. Les  premières propositions de notre corpus tendent vers une forme d’exotisme dans  le choix des territoires avant qu’une diversification et une exhaustivité des  lieux se fasse jour. Dès lors, l’ambition est davantage celle d’un savoir  objectif prenant en charge des dimensions sociales, culturelles et parfois  politiques : le pays doit être approché dans sa complexité et dans son  altérité avec des portraits croisés et multiples au service d’un même  territoire, dont l’illustration photographique et dessinée rend compte.
   La spécificité du  « portrait de pays » en littérature de jeunesse tient aussi à la  figure de l’enfant toujours présente, à une exception près. Les enfants peuvent  être fictifs ou réels. Cette donnée n’influe finalement que peu dans  l’approche : l’enfant s’avère finalement un prétexte, permettant l’identification  du lecteur cible. L’enfant n’est pas toujours le guide attendu de son pays mais  reste souvent un artifice dans la narration qui manque d’un fil conducteur pour  qu’on s’approprie pleinement son quotidien. Si l’album documentaire programme  un lecteur, quel est-il ? Un lecteur curieux d’ailleurs, un lecteur avide  de connaissances mais depuis peu aussi un lecteur voyageur en mesure de venir à  son tour habiter ces lieux et cet espace. Le développement du tourisme, de  moyens de transport low cost, d’hébergements  accessibles à toutes les bourses et des voyages en famille produit un  sous-genre peut-être, en tout cas une forme éditoriale : les guides de  voyage pour enfants, intéressants à analyser à leur tour pour le monde qu’ils  dessinent et pour la conception de l’enfance et de l’enfant voyageur qu’ils  suggèrent.
    
   Annexe 1 :  tableau des collections
    
   
     
       | Collection Editeur
 Date
 | Enfants de la terre Père Castor
 (1948-1983)
 | Enfants du monde Nathan
 (1952-1978)
 | Enfants du monde PEMF
 (2000-2006)
 | Enfants d’ailleurs La Martinière Jeunesse
 (2005-2013)
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       | Afrique | 3 (18%) | 4 (17%) | 8 (30,7%) Egypte, Maroc, Madagascar, Algérie, Masaï,    Sénégal, Tunisie, Touarègue
 | 7 (25,9%) Algérie, Afrique du Sud, Sénégal, Madagascar, Rwanda,    Maroc, Egypte
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       | Amérique | 6 (35%) | 7 (29%) | 7 (26,9%) Cuba, lac Titicaca, Brésil, Pérou, Equateur, Bolivie, Inuit
 | 6 (22,2%) Brésil, Argentine,
 Canada, Etats-Unis, Guatemala, Cuba.
 | 
     
       | Asie | 1 (6%) | 7 (29%) | 8 (30,7%) Vietnam, Mhong-Fleur, Indonésie, Gange, Himalaya, Cambodge, Laos, Malaisie
 | 5 (18,5%) Chine, Inde, Japon, Indonésie, Vietnam
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       | Europe | 7 (41%) | 5 (21 %) | 2 (7,6%) Espagne, Grèce
 | 4 (14,8 %) Russie, Pologne, Roumanie, Espagne
 | 
     
       | Antarctique | 0 | 0 | 0 | 0 | 
     
       | Océanie | 0 | 1 (4%) | 0 | 1 (3,7%) Australie
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       | Moyen-Orient |  |  | 1 (3,8%) Turquie
 | 4 (14,8 %) Jérusalem/Bethléem, Iran, Liban, Turquie
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Pour ce tableau, nous avons repris les données  proposées par Christophe Meunier dans son article « Terre des hommes, enfants de la terre. Quand le Père Castor se mêle de  géographie » (2/5), Les Territoires  de l’album, espace et spacialité dans les albums pour enfants, 2016 (en ligne. Consulté  le 4 août 2022), auxquelles nous avons adjoint nos informations et nos calculs concernant deux  des collections que nous présentons dans cet article.
 
    
    
 
      [30] Claudine Hervouët, Jacques  Vidal-Naquet, « Le documentaire aujourd’hui, entre permanence et  renouvellement », dans Françoise Legendre (dir.), Bibliothèques,  enfance et jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie, 2015 (en  ligne. Consulté le 4 août 2022).