Le Film des questions
ou L’insurrection lyrique réduite

- Frank Smith
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Séquence V

 

Où est l’œil ?
L’œil est-il dans les choses, dans les choses reliées par l’événement, la série de crimes en mouvement ? Les figures anéanties des corps abattus au hasard et qui ont disparu ?
C’est parce que l’œil est dans les choses, c’est ça ? Les images sont lumière, c’est ça ? C’est ça, les images sont lumière ? Les images sont lumière et cette lumière ne cesse pas de se propager exactement comme l’image est mouvement, c’est ça ? C’est ça, en Alabama, et dans tous les Alabama du monde ?
Comment approcher le mouvement des choses par l’image, le mouvement des choses reliées par l’événement dans les choses, le paysage ? Comment le mouvement ne cesse-t-il pas de se propager ? De mouvement reçu, comment se transforme-t-il immédiatement en mouvement de réaction, engrenage sans fin d’action et de réaction ?
Si film il y a, la suite des images saisies par le film n’est-elle pas déjà prise et tirée dans les choses ? Tirée dans les choses reliées par l’événement ? Tirée dans les choses et les corps tirés à coup de carabine ? Les choses reliées par l’événement d’une série de crimes ? Une série de crimes, de personnes tirées au hasard entre Kinston et Geneva, en Alabama, un 10 mars 2009 ?
Est-ce que la lumière ne se révèle qu’une fois arrêtée par une opacité, un noir quelconque ? Est-ce que la lumière ne se révèle une fois arrêtée par une opacité, un noir quelconque ? Un arbre ? Une meute d’arbres ? Une meute de voitures de police ? Un remords ? Un noir noir ? Une meute de remords noirs ? Une forêt noire d’Alabama ?
Les choses ne sont-elles pas lumineuses ? Les choses par là même ne sont-elles pas mouvement ? Ne sont-elles pas, les choses noires d’Alabama, des lignes de lumière, des figures de lumière ?
Est-ce que le film le sait ? Est-ce que le film le peut ?

 

 

Séquence VI

 

Comment isoler les choses à filmer ? Comment séparer les choses à filmer ? Le cadrage est-il cette opération-là ?
L’opération qui isole sur un ensemble infini d’actions tel ou tel ensemble fini d’excitations, comment la mettre en place ?
Comment constituer le cadrage du monde ? Comment constituer le cadrage du monde par le vivant des choses ? Comment quitter le centre d’indétermination des choses ? L’indétermination des choses reliées par l’événement, comment ? L’indétermination des arbres perdus et pendus dans les forêts noires d’Alabama, comment ? L’indétermination, comment ?

 

 

Séquence VII

 

Et la douleur, le coût de la douleur, qu’est-ce qu’on en fait ? La douleur sous toutes ses formes, qu’est-ce qu’on en fait ? Douleur physique, douleur mentale, angoisses de toutes sortes, qu’est-ce qu’elle fait la souffrance dans le paysage ?
Voyez-vous la douleur dans les choses traversées par le crime, une série de crimes ? Voyez-vous ? Comment voyez-vous ? Une série d’itinéraires sur le réseau des routes d’Alabama, voyez-vous ?
Pourquoi elles ont immobilisé l’une de leurs faces, les choses, dans la peur et la douleur ? Et comment voir ? Comment voir de ce visage peu mobile ? Comment voir de ce visage peu mobile quand tout voit autour de soi ? Comment voir devant et sur les côtés ? Comment voir au-dessus et au-dessous ? Comment voir ce qui arrive derrière ? Comment cerner tous les intervalles ? L’infiltration, l’insinuation des traces laissées par le crime, une série de crimes dans le paysage d’Alabama, comment voir ?
On a peur des choses, n’est-ce pas ? N’a-t-on pas peur des choses ? Ne vit-on pas dans la peur ? Pourquoi avoir peur ? Pourquoi a-t-on peur ? Comment éviter les yeux d’angoisse ? Comment vivre avec cela ?
Le peuple des gens d’Alabama, comment dépasser sa peur ?
Comment réparer l’écart ? Comment diviser la loi qui divise ? Comment couper la loi qui coupe ? Le tranchant de la loi ?
Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec ? Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec en résistant ? Ne peut-on pas travailler ce qui fait échec en restant ?
En restant ici et là ? En restant ici et là dans le vent ?
Qu’est-ce qu’un vent, un vent de cinéma ? Un courant d’air, un courant d’air de cinéma ?

 

 

Séquence VIII

 

Qu’est-ce qui nous dépasse et nous fait vivre en même temps ? Comment être en rapport avec cette puissance-là ? Comment être en rapport avec cette puissance-là dans les choses ? Comment être en rapport avec ce qui ne nous appartient pas ? Comment être en lien avec ce qui nous dépasse dans les choses ? Comment être réellement présent à ce qui se passe dans les choses ? A ce qui vient ou émerge dans les choses ? Et comment rendre présent ce présent dans les choses ?
N’est-ce pas là la figure que les people d’Alabama doivent prendre en compte dans l’instant décisif ? L’instant décisif d’un salut, ne peut-on pas ? L’instant décisif d’une élection, ne peut-on pas ?
Les people d’Alabama entre les arbres, entre les forêts d’arbres d’Alabama, le vrac de la mousse espagnole, ne doivent-ils pas se produire en reste ? Prendre la figure de ce reste ?
Qu’est-ce qui, dans chaque situation de film, se poserait en tant que reste ? Où est la vie personnelle ? Où est la vie impersonnelle ? Sont-elles toujours en rapport, même si nettement séparées, les vies personnelles et impersonnelles ?
Est-ce que le film le sait ? Est-ce que Le Film des questions le peut ?

 

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