Les Mystères de la Chambre obscure

- Paul Louis Rossi
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VII
La musique des Sphères

 

En ce qui concerne la musique, j’ai un interlocuteur favori qui se nomme Jean-Yves Bosseur. On pourrait dire, rapidement, disciple de Stockhausen. Dans un colloque à lui consacré en la Sorbonne j’ai suivi à peu près le même raisonnement en déclarant : « Ce que j’aime dans la musique, c’est la musique ». Je pense qu’il faut sauvegarder l’intégrité abstraite des Entités, et je voulais écarter les malentendus, je ne crois pas plus à la poésie de la musique que dans un paysage ou dans les dominos, et même dans la peinture et les dessins de Paul Klee ou de Joan Miró. Ce n’est pas l’émotion qui est visée, c’est le qualificatif. Je veux simplement dire qu’il est inutile de troubler la nature des entités artistiques. Il faut tenter de préserver la connaissance, les distinctions, la logique et la raison.

 

Cependant, en fin de discours, j’ai parlé tout à coup de Paestum : Poseïdonia créée par les Sybarites. Cette Ville de la Grèce antique avait disparu dans les marécages du golfe de Salerne, au Sud de Naples. Redécouverte au XIXe siècle, on y trouve dans le Musée reconstitué la fresque de La Tombe du plongeur : jeune homme sans doute décédé, qui plonge dans la piscine bleue de l’éternité.

 

Mais surtout, dans la plaine, on découvre quelques temples gigantesques, dressés avec d’énormes colonnes dans la clarté aveuglante de la Lucanie. Donc, à ce colloque de la Sorbonne, terminant ma péroraison j’avais déclaré : A cet instant du jour, dans ce paysage antique, devant ces colonnes massives tendues vers la lumière, j’ai pensé : « C’est de la musique ». Jean-Yves Bosseur, à mes côtés, a dit, pour terminer la session, qu’il était absolument d’accord avec moi.

 

Il existe donc une raison supérieure, c’est-à-dire un point aveugle, inaccessible et secret, intelligible seulement dans les instants de grâce, où les entités se rejoignent. Je n’ai pas besoin de citer Baudelaire :

 

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir…

 

J’ai ainsi découvert que Rimbaud avait visité en octobre 1872, au Crystal Palace de Londres, un aquarium pour la première fois éclairé par une lumière artificielle. C’est donc Arthur Rimbaud que je choisirai, pour terminer, celui des Illuminations et de la Saison en enfer, avec comme exemple cette mémoire cinétique qui lui fait réussir les plus brillants amalgames, à partir du bocal phosphorescent du Palais de Cristal, à Londres, pour écrire dans « Bottom », celui du Songe d’une Nuit d’été :

 

Tout se fit ombre et aquarium ardent…

 

A quoi je dois ajouter cette séquence que je puis encore réciter de mémoire :

 

Si j’ai du goût, ce n’est guère
Que pour la terre et les pierres.
Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.

 

Mes faims, tournez. Paissez, faims,
              Le pré des sons.
Attirez le gai venin
              Des liserons.

 

Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.

 

 

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Notes et scolies

 

 

I
Souvenirs

 

Gaston Leroux : Le Mystère de la Chambre jaune, L’Illustration, 1907.
Charlie Chaplin : La Ruée vers l’or, 1925.
Hans Richter : Dreams That Money Can Buy, 1947.
Jean Georges Auriol : « Faire des films », La Revue du Cinéma, n° 7, été 1947.
Marc Allegret : Adrienne Lecouvreur, 1934.
Marcel L’Herbier : Sans Famille, 1938.
— Forfaiture, 1937.
Consulter Paul Louis Rossi : Le Fauteuil rouge ou la Mémoire absolue, éd. Julliard, 1994.

 

 

II
Zone

 

André Billy : Apollinaire, éd. Seghers, 1947.
Vsevolod Poudovkine : Tempête sur l’Asie, 1928. Scénario de Ossip Brik, il avait fondé avec Sergei Tretiakov Le LEF : Front de gauche cubo-futuriste. Ils sont liés à Boris Barnet, réalisateur de ce film sublime : Au bord de la mer bleue, 1936, désavoué par la critique officielle.
Robert Flaherty : L’Homme d’Aran, 1934.
Eric Von Stroheim : Blind Husbands, 1918.
Queen Kelly, 1928.
Sigmund Freud : La Science des rêves, Presses Universitaires de France, 1950.
— Délire et Rêves dans La Gradiva de Jensen, éd. Gallimard, 1949.
Victor Segalen : Œuvres, éd. Laffont, 1995.
Otto Preminger : WhirpoolLe Mystérieux Docteur Korvo, 1949.

 

 

III
Les Nuits

 

Ado Kyrou : Le Surréalisme au cinéma, éd. 1953.
Louis Aragon : Le Paysan de Paris, N.R.F., 1926.
André Breton : Les Vases communicants, éd. Gallimard, 1955.
Murnau : Nosferatu le Vampire, 1922.
Georges Emmanuel Clancier : Panorama critique de Rimbaud au Surréalisme, éd. Seghers, 1953.
Gérard de Nerval : Les Nuits d’Octobre, éd. Gallimard, 1984.
Luchino Visconti : Les Nuits blanches, 1957.
Pierre Léon : L’Idiot, 2008.
Alain Resnais : Muriel ou le temps d’un retour, 1963.
Robert Bresson : Une femme douce, 1969.
Consulter Paul Louis Rossi : « L’Arbitraire », dans Camera/stylo « Robert Bresson », 1985.

 

 

IV
Feuilles détachées

 

Richard Brooks : Les Frères Karamazov, 1957.
Edward Dmytryk : L’Arbre de Vie, 1957.
Claude Autant-Lara : Marguerite de la Nuit, 1955.
Robert Wise : Le Coup de l’Escalier, 1959.
Jacques Demy : Lola, 1960.
Jacques Rivette : Paris nous appartient, 1958.
Eric Rohmer, Le Signe du Lion, 1959.
Hans Arp : Jours effeuillés, éd. Gallimard, 1966.
Luis Buñuel : La Montée au ciel, 1953.
Consulter Paul Louis Rossi : Les Chemins de Radegonde, éd. Tarabuste, 2011.
— Feuilles détachées - des Prisons - Gravures de Jacques Clerc et Michel Roncerel, éd. La Sétérée/Manière noire, 2009.
— Hans Arp : éd. Virgile, 2006.

 

 

V
Le Formalisme

 

Ferdinand de Saussure : Cours de linguistique générale, éd. Payot, 1968.
Noam Chomsky : Dialogue avec Mitsou Ronat, éd. Flammarion, 1977.
Consulter Paul Louis Rossi : Vocabulaire de la Modernité littéraire, éd. Minerve, 1996.
Les Inimaginaires n’ont jamais été publiés dans leur ensemble, on peut signaler l’édition avec des dessins de Gaston Planet, Imprimerie du Marais, 1975.

 

 

VI
Chronique à suivre

 

 

Mary Seaton : « Histoire d’un film inachevé d’Eisenstein : Que Viva Mexico », n° 18 de La Revue du Cinéma, 1948.
Time in the Sun, éd. du Seuil, 1957.
Orson Welles : Mister Arkadin, 1955.
Carol Reed : Le Troisième Homme, 1949.

 

 

VII
La Musique des sphères

 

 

Marcel Carné : Les Enfant du paradis, 1944.
Lionel Ray : Arthur Rimbaud, éd. Seghers, 1976.
Consulter Paul Louis Rossi : Jules Verne écrivain – Le Palais de Cristal, Catalogue Bibliothèque municipale de Nantes, éd. coiffard – joca séria, 2000.
— La Voyageuse Immortelle - Le Signe du Lion, éd. Le Temps qu’il fait, 2001.

 

 

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