La relation de voyage et la carte
- Hélène Richard
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Fig. 5. Didier Robert de Vaugondy,
Fuseaux du globe terrestre

Fig. 6. Carte de Buache de La Neuville (détail)

       Mais on y trouve aussi « l’itinéraire de Mrs de l’Académie ». Il s’agit du voyage au Pérou dont La Condamine est chargé par l’Académie en 1735, afin de mesurer la longueur d’un arc de méridien d’un degré, à proximité de l’Equateur.
       Les voyages qui figurent sur ce globe ont tous fait l’objet de relations publiées (fig. 5). Il s’agit des derniers voyages de circumnavigation, du voyage de Bouvet de Lozier qui suscite le plus grand intérêt de la part du monde savant lors de la réalisation du globe et enfin des travaux de l’Académie, tutelle scientifique de l’œuvre de Vaugondy. Ces tracés, qui remplacent les récits de Coronelli, peuvent apparaître comme des formes de légendes sur le globe. Ils sont tous traités de la même manière, avec une ligne reprenant les sinuosités de la route des vaisseaux eux-mêmes, accompagnée du nom des voyageurs (commandants, navires ou commanditaires) et de la date du périple. Ces noms sont à rechercher sur le globe lui-même, à l’endroit où a eu lieu le voyage, au lieu d’être isolés dans un espace spécifiquement dédié, renvoyant à un codage systématique. Toutefois, ce globe terrestre de Vaugondy n’est pas totalement détaché de la forme narrative du globe de Coronelli. Vaugondy porte dans la partie occidentale de l’Amérique du Nord, une mention qui fait état de ses doutes à l’égard de la Mer de l’Ouest, placée là par certains cartographes. Le texte figure sur le globe, par une simple inscription comme le sont les toponymes, à l’endroit de la supposée Mer de l’Ouest.
       Vaugondy peut être considéré comme le premier grand fabricant français de globes. Il proposa ses globes sous diverses formes, avec des pieds plus ou moins élaborés selon les besoins ou les souhaits de la clientèle – ainsi est conservée la paire de globes ayant été réalisée pour Madame de Pompadour et portant ses armes [15]. Il proposa aussi des éditions en réduction de ces sphères qui restent les globes français les plus largement diffusés [16]. Leur élégance et la variété des formes proposées aux acheteurs n’y sont assurément pas étrangères, mais leur valeur scientifique, placée sous la recommandation de l’Académie, joua aussi un grand rôle.
       Vaugondy fit plusieurs éditions de ces globes de 45, 5 cm. L’édition de 1764 intègre au globe céleste les découvertes astronomiques de l’Abbé de La Caille pendant son séjour au Cap en 1751 et 1752, avec la figuration des constellations que celui-ci dédia aux sciences (le pendule, l’octant, la boussole...). L’édition de 1773 corrige sur le globe terrestre, conformément à ce qui est annoncé dans le cartouche, le contour des terres à la suite des voyages de Bougainville et de Cook, mais ne reporte pas le tracé de leurs périples sur le globe. Il ne faut pas attribuer cette lacune à la faiblesse de notoriété de ces voyages, dont les relations ont été des succès de librairie en français comme en anglais, mais plutôt sans doute au souci de ne pas graver à nouveau la totalité des fuseaux du globe pour y ajouter cet élément. La correction des contours, plus circonscrite, pouvait se faire sur quelques fuseaux seulement, sans engager une telle dépense. En effet, la réalisation de cartes gravées sous forme de cartes plates ou de globes représentait un investissement très lourd, ce qui a eu des conséquences importantes sur la qualité des cartes diffusées. Ainsi, lors de son voyage d’exploration, Bougainville critiqua à maintes reprises les cartes dont il disposait, les cartes imprimées de l’hydrographe Belin [17] qui continuaient d’être diffusées alors même qu’elles étaient périmées.
       Le voyage décidé en 1785 et dont le commandement fut confié à Jean-François Galaud de Lapérouse fut une entreprise scientifique sans précédent pour la France. Le Roi lui-même intervint dans la préparation d’une campagne qui devait être la réplique française des trois voyages de Cook. Rien ne devait être laissé au hasard et la préparation cartographique fut à la hauteur de l’ambition de ses promoteurs. Aussi le ministre de la Marine fit-il réaliser par Jean-Nicolas Buache de La Neuville, Premier Géographe du Roi, une carte spécifique qui resta manuscrite et qui est encore conservée en trois exemplaires [18]. Les deux autres se trouvaient à bord des deux bâtiments de l’expédition. Cette carte, constituée de trois grandes feuilles (fig. 6), est d’une très grande lisibilité. Elle est totalement mise à jour [19] après les grandes expéditions de circumnavigation qui ont précédé celle de Lapérouse comme après les découvertes fortuites faites lors de voyages commerciaux.

 

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[15] Elle se trouve au Musée de Chartres, voir Couleurs de la Terre. Des mappemondes médiévales aux images satellitaires, sous la direction de Monique Pelletier, Paris, Seuil-BNF, 1998, p. 99.
[16] Ce sont les globes de Vaugondy que décrit l’Encyclopédie dans son article comme dans les planches consacrées aux globes et à leur réalisation.
[17] « Je n’entreprendrai pas de rapporter ici toutes les erreurs que j’ai rencontrées dans les cartes de Monsieur Bellin (...). L’énumération en est infinie » (Claret de Fleurieu lors du voyage d’expérimentation des montres marines de Berthoud en 1768-1769, cité par Olivier Chapuis, A la Mer comme au Ciel. Beautemps-Beaupré et la naissance de l’hydrographie moderne (1700-1850), Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 1999, p. 173. Fleurieu insistait par ailleurs sur le caractère criminel de la diffusion de cartes marines fautives.
[18] Ces cartes sont conservées au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France, S H Port 174, pièce 1, S H Port 174, pièce 1/1 et S H Port 174, pièce 1 / 2 Rés. ; cette dernière est l’exemplaire personnel de Louis XVI.
[19] Catherine Gaziello, L’Expédition de Lapérouse, 1785-1788, réplique française aux voyages de Cook, Paris, La Documentation française, 1984, pp. 83-85.