Pictoriana : les écrits de peintres
en Belgique (1830-2000)

- Laurence Brogniez
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Structure de la base de données

 

       Les catégories retenues pour la base de données ont été mises au point afin de répondre aux objectifs décrits ci-dessus. Ce n’est qu’au cours des premières recherches « sur le terrain » qu’elles ont pu être éprouvées et éventuellement affinées pour correspondre aux singularités rencontrées.
       Ainsi, pour chaque peintre envisagé, les différentes entrées de la base de données s’articulent autour de trois « menus ».
       Le premier concerne la « carte d’identité » du peintre. Plus que de simples informations biographiques, il rassemble des données relatives à la profession, l’état civil, les voyages de l’artiste, etc.
       Différents paramètres peuvent en effet déterminer la carrière de l’artiste et ses incursions dans le domaine des lettres : l’exercice d’une profession dans l’administration a pu familiariser l’artiste avec la pratique scripturale, exigeant de lui un niveau d’instruction élevé et une maîtrise de l’expression (pensons à Jean Portaels qui exerça la profession de directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles). L’origine sociale peut elle aussi orienter l’artiste vers une pratique plus ou moins régulière de l’écriture, en fonction de son capital culturel et du réseau de relations entretenu par sa famille (comme pour Alfred Stevens, bien introduit dans les milieux mondains, suivant les plans de carrière fixés par son frère, le critique et marchand d’art Arthur Stevens). Les liens conjugaux peuvent également contribuer à souder des relations entre le peintre et le milieu littéraire : pensons au cas, déjà cité, de la fille de Rops, elle-même artiste, qui épousa l’écrivain Eugène Demolder, auteur de nombreux essais sur le peintre.
       La question des voyages se révèle particulièrement importante, ces déplacements justifiant souvent le passage à l’écriture : rédaction d’un journal de voyage, « reportages » (comme les Ropsodies hongroises de Rops), lettres des lauréats du Prix de Rome, bénéficiaires d’une bourse pour aller peindre en Italie, tenus d’envoyer des rapports sur leur séjour aux autorités académiques [46].
Le deuxième volet de la base de données est consacré au cursus pictural de l’artiste. Les critères retenus permettront de collationner et d’organiser les données se rapportant non seulement à la formation des peintres, mais aussi à leur sociabilité picturale, comme leur appartenance à un groupe, un cercle artistique, certains, comme le Groupe des XX ou la Société de la Libre Esthétique, prédisposant aux échanges avec la sphère littéraire. Sera abordée également la question de la légitimité du peintre : distinctions honorifiques, prix, ou, au contraire, absence de reconnaissance par l’institution artistique qui a pu expliquer, dans une certaine mesure, une reconversion.
       Cette partie devrait également permettre de mettre en lumière les activités picturales - l’illustration, principalement - en relation avec les champs littéraires belge et étranger (comme par exemple le travail d’illustration effectué par Charles Doudelet pour les Douze Chansons de Maurice Maeterlinck en 1896 ou celui de Théo Van Rysselberghe pour Toute la Flandre d’Émile Verhaeren).
       Enfin, le dernier volet de la base informatique, certainement le plus important au regard de la problématique envisagée, est consacré au cursus scriptural de l’artiste. Seront consignées ici les données portant sur le statut de l’écrit de peintre : texte inédit ou publié ? S’il a été publié, on identifiera, au sein du champ littéraire, la maison d’édition qui a pris prit en charge le manuscrit, et on enquêtera sur les conditions de publication. A-t-il été édité du vivant de l’auteur ou à titre posthume, et dans ce dernier cas, qui a pris l’initiative de l’édition (famille, chercheur, commissaire d’une exposition) ? Ce volet permettra d’éclairer les éventuelles intentions littéraires de l’artiste, mais aussi les difficultés rencontrées pour se faire une place dans le monde des lettres (Jean Delville, par exemple, fut contraint de passer par la publication à compte d’auteur).
       Sera également examinée la question du type d’écrit investi par les peintres : essai sur l’art, critique, manifeste, publié en revue ou dans un ouvrage à part entière ? S’agit-il de mémoires, tels que les Souvenirs d’une vie rédigés par Anna Boch [47] ? Se trouve-t-on en présence d’un récit de voyage, comme le Voyage illustré en Espagne et en Algérie de Jean-Baptiste Huysmans [48] ? Un projet de pièce de théâtre semblable à celui, inlassablement réécrit dans des petits carnets d’écolier, des Sorcières de William Degouve de Nuncques [49] ? Un poème, un roman, des nouvelles, etc. ?
       Enfin, une dernière catégorie sera réservée à l’encodage de données relatives à la question des liens du peintre avec le milieu littéraire belge et étranger, ce qu’on pourrait appeler ses réseaux ou sa sociabilité littéraires. Cette sociabilité permet en effet de mesurer le degré d’intégration de l’artiste dans le champ des lettres et de mesurer le rôle de tel ou tel écrivain dans son passage à l’écriture ou dans l’édition de ses textes.
       L’élaboration de cette base de données constitue la première étape d’une recherche appelée à se développer. Bientôt accessible sur le site de l’Université de Namur, cette base fonctionnera comme un outil interactif où toute personne porteuse d’un code d’accès pourra consulter les fiches et éventuellement proposer sa collaboration. La page d’accueil diffusera en outre des informations sur les publications et manifestations scientifiques liées au sujet, et proposera une série de liens vers des centres de recherche menant des projets similaires.
       En mai 2007, un colloque international, intitulé « Écrit(ure)s de peintres belges », a réuni à Namur, autour de la présentation de Pictoriana, un ensemble d’historiens et de théoriciens de la littérature, d’historiens de l’art et d’historiens qui ont abordé, au travers d’une série de cas particuliers, un certain nombre de questions qui ont présidé à l’élaboration de la base [50]. Les échanges devraient se poursuivre à raison d’une journée d’études par an au fil de l’accroissement de la base et de la mise en chantier de thèses ou d’éditions critiques. La première de ces journées, prévue pour mai 2008, devrait être consacrée à un support qui, on l’a vu, revient souvent sous la plume du peintre : la lettre.
       Un chantier est ouvert : on espère que des chercheurs venus d’horizons divers viendront apporter leur pierre à l’édifice [51].

 

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[46] Sur ce sujet, voir C. A. Dupont, Modèles italiens et traditions nationales. Les artistes belges en Italie (1830-1914), Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, 2005.
[47] A. Boch, Souvenirs d’une vie, [s. l.], 1935 (Bruxelles, Musée et Archives de la littérature, MLA 17783).
[48] J.-B. Huysmans, Voyage illustré en Espagne et en Algérie, 1862, Bruxelles, C. Muquardt, 1865.
[49] Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (MRBAB 21435).
[50] Actes à paraître en 2008 chez Peter Lang dans la collection « Comparatisme et société ».
[51] Je remercie Charlyne Audin, chercheuse aux FUNDP (2005-2007), pour sa contribution dans l’élaboration et le développement de ce projet de recherche. Le présent article doit beaucoup à sa collaboration.