Exposer des récits multimodaux. Retour sur le
projet WREK NOT WORK d’Olivier Deprez
(Wittockiana, automne 2019)

- Géraldine David et Perrine Estienne
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Fig. 1. Illustration du procédé de gravuration

Fig. 2. Vue de l’exposition « WREK NOT
WORK : Olivier Deprez »

Déclinaison de l’exposition

 

Gravuration

 

Le projet WREK a été entamé plusieurs années avant le projet d’exposition de 2019. A la manière des éditeurs qui, depuis la mécanisation du processus d’impression, réutilisent des gravures et des images déjà employées précédemment, Olivier Deprez crée à partir de références visuelles existantes. Glanées sur Internet, via les réseaux sociaux ou YouTube, les images qu’il sélectionne et investit sont retravaillées par la matérialité de la xylogravure, enfoncées dans le contreplaqué des planches, encrées puis appliquées sur le papier. Au sujet de sa démarche, Deprez tient les propos suivants :

 

Je dirais que WREK est un livre fait d’éclats. L’image qui a contribué à déclencher le processus d’écriture du livre, c’est la Nancy de Bushmiller collectant des déchets et revenant chez elle en se promettant de les ranger et de leur trouver un usage ultérieurement. (...) La plupart des images que j’ai ramassées proviennent des réseaux sociaux (Facebook, Youtube, blogs) et quelques fois de livres ou de dvd. Au fond, il y a déjà une question : que faire des images déjà là ? Comment leur rendre une deuxième vie, une vie autre que la vie d’un fétiche ? [2]

 

Pour WREK, Deprez procède aussi à une sélection de scènes issues de films ; ces arrêts sur écran sont figés et deviennent des images qui, une fois sélectionnées, passent par les mains et la presse de l’artiste pour donner naissance à des images gravées. L’artiste dit d’elles qu’elles sont « gravurées ». La gravuration est donc le terme qu’il utilise pour décrire son « algorithme » de travail (fig. 1). Dans une publication parue en 2019, Arnoud Rommens décrit l’algorithme WREK de cette façon :

 

Film en analogique → Passage au digital car le film est visionné sur une plateforme vidéo DVD ou Youtube → Arrêt sur écran et capture d’écran d’une scène du film → impression → dessin préparatoire → transfert du dessin sur la matrice de gravure → impression sur papier de la matrice [3].

 

Deprez manipule et redéploie donc des images extraites de films qu’il redessine pour ensuite pouvoir les imprimer en xylogravure. Loin d’être simplement une source d’inspiration comme peuvent l’être des références visuelles peuplant l’univers ou l’habitation d’un artiste, ces « arrêts sur images » sont des citations littérales de multiples films, voire d’autres références du monde de la BD, qui nourrissent l’œuvre d’Olivier Deprez. Parmi les œuvres cinématographiques de son corpus, se trouvent : L’Homme à la Caméra de Dziga Vertov, plusieurs créations d’Andrej Tarkovski, Nosferatu le vampire de Friedrich Whilelm Murnau ainsi que Vampyr de Carl Theodor Dreyer. Le choix de ces références filmiques en particulier s’explique par un goût personnel, d’une part, et par le contraste des images dans ces films, propice à la reproduction de l’image en xylogravure. Les expressions des acteurs et personnages, en particulier dans les films expressionnistes allemands, sont de parfaits vecteurs de clairs-obscurs, même une fois gravés dans le bois. La juxtaposition d’arrêts sur images dans les romans gravés d’Olivier Deprez donne un nouveau séquençage, mêlant scènes de textes (sous-titres, génériques), images figurant des personnages ou des paysages. Sans prétendre créer un récit à proprement parler, un projet comme WREK prône l’abstraction comme maître mot de cette nouvelle succession d’images.

Il convient de préciser que le procédé de « gravuration » confère un grain particulier au résultat qui vient en singulariser la nature. La technique utilisée confère à l’image imprimée la matérialité de la planche de bois sur laquelle est taillée sa matrice. Un dessin est réalisé sur la matrice de bois et l’artiste ôte, à la gouge, les endroits qui seront laissés blancs à l’impression. L’encre vient donc recouvrir les plats qui seront noirs ou colorés sur l’image imprimée. C’est ainsi que la matérialité de l’image initiale – qui est intangible puisqu’elle sort d’un film – prend corps et devient « solide ». Une fois gravurées, les images sont disposées au gré des pages du livre à venir, selon l’instinct de l’artiste. Le récit élaboré se veut de la sorte totalement abstrait et répond, au moins en partie, à des exigences identifiées comme « vibratoires » par Deprez.

 

Scénographie

 

Le choix de scénographie opéré par l’artiste pour son exposition, en dialogue avec les deux commissaires ainsi qu’avec Roby Comblain, graveur et ami de l’artiste, a été de montrer ce processus de création, en explicitant les références des images utilisées par Deprez. Par exemple, les images xylogravées s’incarnent d’abord sur les matrices de bois présentées comme des sculptures primitives. Par ailleurs, les aspects haptique et vibratoire qui caractérisent la réception d’une œuvre gravée ont été rendus par le choix d’un papier d’impression très singulier : le papier japon léger, Fu Yang, transparent. Ces feuilles, accrochées à même l’espace d’exposition, permettaient une appréhension des œuvres en direct, sans l’intermédiaire d’une vitrine, pour que le visiteur puisse entrer frontalement en contact avec les créations. En effet, une réflexion avait été préalablement menée sur la manière dont le public arpenterait l’espace. La volonté de l’artiste était de le voir déambuler entre les planches gravées, comme dans un ancien séchoir à draps. Cette idée avait germé suite à la façon dont il avait fait sécher ses planches sur le papier Fu Yang dans l’atelier du musée de l’estampe de Gravelines, où les gravures avaient été imprimées. Ainsi, à la manière de la déambulation bibliophilique du collectionneur dans ses ouvrages précieux, entre leurs pages ou entre les rayonnages d’une bibliothèque, le visiteur pouvait se balader entre les planches du livre à venir (fig. 2).

Ponctuant l’espace, plusieurs structures en bois s’élevaient comme des maisons, ou des cabanes, abritant les images. Ces montants légers, placés sur roues, permettaient ainsi d’accroître l’espace de déploiement des œuvres. Au centre de la pièce, une structure en bois abritait également la presse de gravure, les matrices et un pot d’encre. Le visiteur était par conséquent amené à toucher chacun des éléments mis en espace, de la structure à cet encrier. L’évocation de la technique de la xylogravure, très physique, mobilisant simultanément beaucoup de précision et de force physique de la part du graveur, était littérale par le biais de la presse et invitait le visiteur de l’exposition à s’imaginer « faisant ». Cette dimension a également été plusieurs fois convoquée par l’artiste lui-même qui a organisé des ateliers pour adultes et pour enfants, partageant ainsi sa technique avec les visiteurs.

 

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[2] J. Baetens, G. David et O. Deprez, WREK NOT WORK, Exposition à la Wittockiana, Bruxelles, Bibliotheca Wittockiana, 2019, p. 15.
[3] A. Rommens, WREK The Algorithm!, Bruxelles, Images, 2019, p. 7.