La relation de voyage et la carte
- Hélène Richard
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       Elle ne fait pas état des hypothèses géographiques des savants de son temps, comme celles de Philippe Buache sur la Mer de l’Ouest, mais s’appuie sur les voyages antérieurs dont le tracé est reporté avec soin. On y voit ceux de la plupart des navigateurs qui ont sillonné les parties du monde que devait reconnaître Lapérouse dans le Pacifique : Mendana, Quiros, Tasman, Roggeven, Lemaire, Schouten et, plus récemment, Cook, Byron, Wallis, Bougainville, Surville... ainsi que la route du galion de Manille. Les portions de côtes connues sont en trait plein, les zones à explorer figurent en pointillés et la côte Nord-Ouest de l’Amérique, à l’exclusion des parties visitées par Cook ou les navigateurs espagnols, est laissée en blanc. Le nom des différents voyageurs est placé à côté du périple qu’ils ont accompli, avec mention de la date précise de passage dans les diverses zones. La carte, enfin, porte le tracé que doit suivre Lapérouse, les instructions qui lui étaient remises précisant par ailleurs qu’il pouvait le modifier selon les nécessités.
       La carte était accompagnée d’un mémoire remis aux commandants qui indiquait toutes les coordonnées des points de référence ainsi que la source à partir de laquelle avaient été établis ces points. Parmi ces sources, on trouve des cartes – du moins celles qui ont été établies avec des moyens de positionnement récents – et des récits de voyage. Les récits de voyage cités figurent dans la bibliothèque du bord et, pour les voyages récents non encore édités ou pour ceux dont la relation n’a pas été diffusée, le commandant dispose d’une copie du journal resté inédit, pour la partie intéressant son voyage. On voit donc que cette carte joue le rôle d’un index, renvoyant aux documents dont disposait le navigateur et lui permettant, grâce aux indications précises de date placées sur le tracé des navigateurs antérieurs, de se reporter rapidement au journal, imprimé ou non, pour avoir des informations complémentaires ou pour connaître la valeur de la position attribuée au lieu abordé [20]. Comme cette carte n’est pas destinée à être diffusée, il est en fait possible de lui adjoindre toutes les sources nécessaires à sa construction et de compléter la bibliothèque du bord par tous les éléments susceptibles d’éclairer le navigateur et de lui permettre de discuter le document qui lui était proposé. La carte, fruit des relations de voyage antérieures, est elle-même une étape vers son amélioration grâce aux acquis que permettra le voyage. Le navigateur et le cartographe sont donc sur une sorte de plan d’égalité.
       Il ne s’agit plus, comme sur le globe de Coronelli, d’ajouter textes et images pour dire le merveilleux du monde raconté par les voyageurs, il ne s’agit pas, comme sur le globe de Vaugondy, de s’appuyer sur l’autorité des voyages considérés comme importants et montrer ainsi la qualité du travail du cartographe ; il s’agit cette fois, avec une carte dont les limites sont clairement affirmées, d’offrir à son utilisateur tous les moyens de la critiquer. Ces moyens ne peuvent trouver place sur la carte elle-même, dépourvue d’éléments textuels. Les récits de voyage donnant des informations sur les ressources ou les difficultés d’une escale, les observations astronomiques dont on peut mesurer le risque d’erreur, l’accueil que l’on peut attendre de la part des habitants d’une île lointaine, le navigateur les trouvera dans la bibliothèque du bord, mais c’est grâce aux tracés des voyages antérieurs et aux dates des passages de ceux-ci qu’il saura où trouver ces renseignements. A charge pour le navigateur de compléter la carte qui aura été construite pour lui. L’exemplaire de Louis XVI de la carte préparatoire du voyage de Lapérouse l’illustre à sa manière puisque, à la suite des informations rapportées en France par Benjamin de Lesseps qui avait quitté l’expédition après l’exploration de la côte Nord-Ouest de l’Amérique, la carte a été corrigée par des papiers de retombe pour y noter le nouveau tracé de côte, tel que Lapérouse avait pu le fixer.

 

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[20] Hélène Richard, « La préparation cartographique des voyages français de la fin du XVIIIe siècle », Bulletin du Comité français de Cartographie, n° 175, mars 2003, pp. 17-24.