- Benoît Glaude

A propos de l’ouvrage :

Jan Baetens, Adaptation et bande dessinée.
Eloge de la fidélité
, Bruxelles,
Les Impressions nouvelles, 2020,

9782874498046

 

Paru en 2020, Adaptation et bande dessinée est le fruit d’années de recherches disséminées par Jan Baetens dans des publications universitaires. Cette synthèse de travaux déjà influents les rend plus accessibles, condensés en deux cent pages très agréables à lire. L’ouvrage prend la suite de trois autres, du même auteur, que sont La Novellisation (2008), The Graphic Novel : an Introduction (2015) et The Film Photonovel (2019) [1]. La notion d’adaptation entre médias s’y trouvait déjà abordée dans une perspective comparable, bien que ce fût à travers des corpus plus inattendus que ceux suggérés par un titre, un peu convenu, tel qu’Adaptation et bande dessinée. La voie ouverte par un tel titre est moins aisée à emprunter qu’elle le paraît, encombrée par quantité de lectures littéraires de bandes dessinées adaptant des classiques littéraires. Parfois conduites dans une perspective utilitariste (en didactique du français, ou ailleurs), celles-ci tendent à négliger autant l’adaptation que la bande dessinée. Au contraire, le présent essai concerne avant tout l’adaptation, qu’il envisage à travers des œuvres graphiques nouant un lien – plus ou moins explicite et plus ou moins direct – avec la littérature. Ainsi pourrait-on en formuler la question de recherche : « Qu’est-ce que cela implique de lire des bandes dessinées comme des adaptations littéraires ? »

Dans la lignée de ses livres cités plus hauts, Jan Baetens s’inspire de travaux menés sur l’adaptation cinématographique, par Brian McFarlane, Linda Hutcheon, Simone Murray, Jean-Louis Jeannelle, Alain Boillat, Jean Cléder et Laurent Jullier. Comme il puise son cadre théorique dans les études d’adaptation, il ne perd pas de temps à se positionner sur la pléthore de recherches consacrées aux adaptations en bande dessinée (se dispensant, de ce fait, d’en dresser un relevé exhaustif). Dès son sous-titre Eloge de la fidélité, l’essai prend plutôt position au sein d’un courant récent des études d’adaptation. Pendant longtemps, elles ont développé une démarche comparatiste, visant à mesurer la fidélité de l’œuvre adaptante à l’œuvre adaptée, ce qui revenait à dénoncer les « pertes » et « trahisons » (p. 17) causées par l’adaptation (et à entériner le prestige du média littéraire contre celui des œuvres-cibles : cinéma, télévision, bande dessinée, etc.). L’ouvrage clé d’Hutcheon, A Theory of Adaptation [2], a heureusement permis de dépasser cette vision binaire, en considérant l’adaptation comme une création à part entière, mais ses émules ont eu tendance à oublier les œuvres-sources et à « se débarrasse[r] un peu facilement d’une réflexion sur les problèmes de la fidélité » (p. 18). En réaction, J. Baetens propose de restaurer une approche comparative, en considérant l’adaptation comme une interprétation créatrice et en réhabilitant l’intérêt pour le « souci de fidélité » (p. 25).

Préférant l’analyse à la théorie, l’essai est doublement illustré : d’une part, il comporte de nombreuses reproductions, en noir et blanc, de couvertures et de planches d’albums de bande dessinée, d’autre part, il s’appuie sur quinze lectures d’œuvres, menées dans onze chapitres d’une quinzaine de pages. Il s’agit d’albums pour adultes, parus en français au XXIe siècle – sauf Zazie dans le métro (1966) de Jacques Carelman et La Cage (1986) de Martin Vaughn-James –, isolément ou en série, et adaptant une fiction littéraire (roman ou nouvelle) ou une adaptation d’œuvre littéraire (film ou chorégraphie). Les artistes sont tous des auteurs complets, majoritairement français ou belges, hormis trois Anglo-Américains, mais dont les œuvres ont été révélées par leur version française (La Cage déjà citée, Courir deux lièvres à la fois de Simon Grennan et 99 exercices de style de Matt Madden). Ceci exclut les traductions d’œuvres étrangères (dont les mangas, qui sont pourtant de grands pourvoyeurs d’adaptations littéraires), à l’exception d’une adaptation italienne de Maupassant (par Dino Battaglia) traduite en 2002. Ce nonobstant, le marché du livre francophone est parcouru dans toute sa largeur [3], depuis la production restreinte jusqu’à la production élargie, de FRMK à Dargaud. J. Baetens a pris soin de sélectionner un corpus de recherche qui dépasse les équivalents français des Classic illustrated américains, sans pour autant les dédaigner. Il révèle ainsi les qualités de la série A la recherche du temps perdu (1998-2013) de Stéphane Heuet, souvent dénigrées par les universitaires. S’il étudie le canon institué par les études francophones d’adaptations en bande dessinée (les Nestor Burma de Tardi, La Cage de Vaughn-James, Le Château de Deprez), ce n’est pas pour s’y cantonner. Loin de la démarche évaluatrice d’un critique de bande dessinée, il accorde la même bienveillance, la même place et la même attention à chacune des œuvres sélectionnées. Cela ne l’empêche pas de pointer les désavantages de certaines options artistiques, par exemple (p. 61) dans Le Joueur d’échecs de Thomas Humeau.

 

>suite

[1] Jan Baetens, La Novellisation. Du film au roman, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2008 ; Jan Baetens et Hugo Frey, The Graphic Novel: an Introduction, New York, Cambridge University Press, 2015 ; Jan Baetens, The Film Photonovel. A Cultural History of Forgotten Adaptations, Austin, University of Texas Press, 2019.
[2] Linda Hutcheon, A Theory of Adaptation, Abingdon, Routledge, 2006.
[3] Au contraire, les notices de dix-sept albums que J. Baetens ajoute en fin d’ouvrage, en assumant la subjectivité de la sélection (p. 217), sont dominées par des productions de maisons littéraires et de l’avant-garde de la bande dessinée (FRMK, Les Impressions nouvelles, Gallimard, Actes Sud).