[12] [J. Valdor], Les Triomphes de Louis le Juste, Op. cit., « Exposition de la figure suivante », texte non paginé signé H. Estienne.
[13] [A. Mérot], Eloge de la clarté : un courant artistique au temps de Mazarin, 1640-1660, [catalogue d’exposition], Dijon, Musée Magnin, 8 juin-27 septembre 1998 ; Le Mans, Musée de Tessé, 29 octobre 1998- 31 janvier 1999, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1998.
[14] [J. Valdor], Les Triomphes de Louis le Juste, Op. cit., « Exposition de la figure suivante », texte cité.
Effets de points de vue et de cadrages
dans Les Triomphes de Louis le Juste
de Jean Valdor (1649)
- Bernard Teyssandier
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Fig. 19. G. Ladame, La Discorde 
Fig. 21. Anonyme, Saumur
Fig. 22. Anonyme, Le Rétablissement
des ecclésiastiques en Béarn
Fig. 23. S. Della Bella, bandeau
personnalisé
Marquons à présent l’arrêt à l’intersection de la deuxième et de la troisième galerie. Ici, pas de frontispice, mais un tableau signé Gabriel Ladame sur le thème de la guerre (fig. 19) précédé d’une eckprasis d’Henri Estienne (fig. 20 ). Après avoir éclairé le sens des devises attenantes aux portraits des illustres, on s’en souvient, Estienne justifie la présence de cette gravure, ce qui le conduit à revenir sur le rôle joué par Valdor :
Ne t’estonne pas si le Sr Valdor par ses belles inventions a si artistement representé le spectacle des affreux et espouventables effects de la guerre ; Cette peinture t’en montre la veritable Figure, par un jeune homme robuste ; qui attaché dans le lieu où il se plaist à se veautrer parmy le carnage, le sang, et les squelettes, aime l’horrible son des tonnerres bruyans ; se nourrir des sanglantes vapeurs qui sortent de la caverne où regnent le Desespoir, la Discorde et l’Envie. Tu le vois dans une grotte affreuse animer des Cyclopes pour forger et inventer des instruments propres à destruire la Nature mesme, et la reduire dans la confusion de son premier chaos. Il n’a point d’yeux de peur que les objets ne l’esmeuvent à pitié, et ne l’empeschent de fouler sous les pieds la charité et l’innocence ; Il n’a pour compagnons que les monstres les plus horribles des abysmes : il renverse les vaisseaux de sang le plus pur et le plus innocent, dont luy-mesme prend plaisir de se saouler : Il n’a point de mains ny de bras que pour percer les flancs et arracher les cœurs, et pour porter le feu et le fer ; bruslant, saccageant, et renversant par le meurtre, les larrecins et les violements, aussi bien les lieux plus sacrez que les profanes, et il n’a point de plus grande satisfaction que lors qu’il arme le fils contre le pere, le pere contre le fils, et les freres contre les freres [12].
L’inscription de la gravure de Ladame dans l’économie du livre et l’effet de cadrage qui l’accompagne, singulièrement nouveau par rapport au modèle canonique adopté dans le livre, méritent l’attention. Comme le souligne Henri Estienne – « ne t’estonne pas si » –, le spectateur est soumis à un spectacle qui perturbe, voire qui parasite sa lecture. Car ce tableau offre une image renouvelée de la guerre en action. Alors que les gravures de la première galerie, adossées à une esthétique atticiste [13], dessinent l’image d’un roi s’abstrayant des effets de la guerre (fig. 21), ou exerçant la justice avec l’impassibilité du sage (fig. 22), cette image représente la guerre dans tout son débordement (fig. 19). Le personnage principal est engagé dans une action violente, la scène est empreinte d’une théâtralité pathétique, Estienne citant un extrait de Thyeste dans l’ecphrasis disposée en regard du tableau. Bref, il s’agit bien ici de confronter le spectateur au furor, à l’hybris, à l’acrasie.
Or, loin de créer une impression de disparate, cette image vient conforter le projet éditorial de Valdor. Dans son commentaire, Estienne se réfère en effet à la numismatique antique. Il use métaphoriquement des termes d’avers et de revers et justifie la présence de la gravure de Ladame, eu égard à la figure de Mars pacificator, et sans doute aussi à l’emblème d’Alciat, Ex bello pax :
C’est la guerre ; Et ce monstre pourtant semble estre en quelque façon necessaire, puisque par tous ces mal-heurs il nous engendre la chose la plus precieuse, la plus agreable, et la plus souhaitable, qui est la paix ; Car la victoire ne s’acquiert que par le feu, le fer, et le sang respandu ; et c’est cette victoire qui est la mere de la paix. Par le revers de la medaille d’argent de Lucius Hostilius, la victoire se trouve peinte, portant d’une main le Caducée, qui est la verge paisible de Mercure, et de l’autre un trophée, où sont pendus les despouilles des Ennemis, pour montrer que la guerre par la victoire apporte la paix. Pour ce mesme sujet, les Anciens peignoient aucunefois Mars, tenant de sa main droite une branche d’olive, et de l’autre une picque, et appeloient Mars Pacateur, ou Pacifiant. Si bien qu’il faut advouer, que bien que la guerre soit mere de toutes les cruautez les plus inhumaines et barbares du monde, elle est toutesfois mere de justice, pour punir les meschans, les rebelles, et les usurpateurs [14].
Mais, pour Estienne, l’image de Ladame a sans doute une autre vertu : faire une fois encore de Valdor, le maître d’œuvre génial, l’inventeur d’un livre fédérant des artistes autour d’une même conception du dessin et de la peinture (l’atticisme), sans pour autant s’interdire d’autres approches stylistiques, en l’occurrence un intérêt manifeste pour un expressionisme d’esprit sénéquien. L’ouvrage de Valdor contribue en effet, notamment par les images réunies en collection, à l’affirmation d’une doctrine fondée non pas tant sur la représentation d’une réalité historique que sur sa mise en perspective. Or ce tableau se situe à l’évidence à rebours de cette esthétique. Pour autant, le contraste qu’il introduit dans l’espace du livre inscrit durablement l’image royale dans l’ordre de la retenue, de l’empire sur soi et de la maîtrise dans l’exercice de la guerre.
La dernière station nous conduit non pas au croisement des trois galeries de l’ouvrage, mais dans l’espace précédant cette triple construction, autrement dit dans la section réservée aux liminaires, immense propylée où résonnent les voix de ceux qui ont œuvré à la fabrique du bâtiment et celles des visiteurs qui, l’ayant traversé et parcouru, en font l’éloge – qu’il s’agisse de célébrer les tableaux de mots ou les tableaux gravés. En réalité, ce bloc de quelque soixante pages réunit deux types de gravures. Des décorations d’abord, bandeaux et vignettes signés Della Bella, ces eaux-fortes couronnant les deux pièces de dédicaces que Valdor adresse à Louis XIV et à Anne d’Autriche (figs 23 et 24 ). Des gravures pleines pages ensuite, au nombre de deux, l’une et l’autre ressortissant à l’art du portrait.