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Un pays peut en cacher un autre.
Les petits Espagnols
, série « Le Monde », éditions Piccoli

- Christine Rivalan Guégo
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Fig. 1. K. J. Fricero, Little French People:
a picture book for little folks
, 1909

Fig. 2. Anonyme, Jolanda Colombini Monti, s. d.

Résumé

Reflet des intérêts culturels, géographiques, voire touristiques, exprimés dans les années 1950, la série « Le Monde » publiée en France par les éditions Piccoli de Milan s’inscrit dans un mouvement éditorial de littérature jeunes publics. A partir d’un des volumes de la série, Les petits Espagnols, l’analyse s’attache à déterminer le positionnement, à la fois littéraire et éditorial, des portraits de pays offerts par la série à ses jeunes lecteurs et lectrices.

Mots-clés : portrait de pays, Espagne, Editions Piccoli, Série « Le Monde »

 

Abstract

Echoing the cultural, geographic or even leisure pursuits that emerged in the 1950s, The World Series marketed in France by Publishers Piccoli, Milan, is part of a publishing development in children’s literature. Based on Les petits Espagnols, one of the volumes in the series, the present analysis highlights the literary as well as editorial positioning of the portrait of a country offered by the series to its young readers.

Keywords: portrait of a country, Spain, Publishers Piccoli, The World Series

 


 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la dynamique d’ouverture initiée dans les publications de jeunesse dès le début du vingtième siècle [1], l’idée de paix trouve un écho qui favorise le développement d’une production littéraire au service de l’entente entre les peuples (fig. 1). A l’époque, tout particulièrement en Europe, d’autres initiatives en direction de la jeunesse voient le jour, sous des formes diverses : fêtes de la jeunesse, enseignement des langues vivantes associant l’apprentissage de la culture et de la civilisation, début des échanges scolaires. Par ailleurs, très vite, dans les années cinquante et surtout soixante, l’essor d’un tourisme de masse, orienté vers des destinations plus ou moins lointaines, invite à des publications éditoriales de nature variée (guide touristique, collections sur les pays), mise en pages de ces lieux souvent accompagnée d’images clichés qui en ont fixé durablement la représentation.

Alors que l’édition pour la jeunesse reste encore très didactique et marquée par les auteurs de la fin du dix-neuvième siècle, la série « Le Monde » publiée par les éditions Piccoli à Milan contribue au renouvellement du genre en ouvrant des fenêtres sur de nouveaux espaces. En ce sens elle s’inscrit dans le mouvement éditorial des années 1950-1960 qui a vu apparaître dès 1948 la collection Enfants de la terre aux Albums du Père Castor, Enfants du Monde chez Nathan (1952), Connais-tu mon pays ? chez Hatier (1963) mais aussi la série des Caroline de Pierre Probst [2] en littérature pour enfants. Avec une ligne éditoriale peu soucieuse d’offrir des ouvrages d’une grande rigueur scientifique, la série « Le Monde » propose aux jeunes lecteurs et lectrices, une connaissance de l’ailleurs bien particulière. Dans un même temps, et avec des intentions somme toute très proches, des collections pour adultes comme « Petite Planète » annoncent « Le monde pour tout le monde » [3]. L’analyse à suivre questionnera l’un des volumes de la série « Le Monde » à partir de la notion de « portrait de pays » [4], envisagée comme genre littéraire mais surtout comme genre éditorial.

 

La maison d’édition Piccoli

 

Avec Carlo Collodi (1826-1890) et Les Aventures de Pinocchio [5], la littérature enfantine avait pris son élan en Italie et Paul Hazard lui avait consacré un article dans La Revue des deux mondes [6]. Les éditions Piccoli n’ont guère laissé beaucoup de traces de leurs activités, hormis les exemplaires encore en vente sur les sites spécialisés. Fondées à Milan en 1943 par Osvaldo Dolci, elles étaient spécialisées dans la littérature jeunesse et leur activité a cessé en 1990, date à laquelle elles ont été rachetées par Edizioni Il Capitello de Turin, spécialisées dans l’édition de manuels scolaires [7]. Cette création durant la Seconde Guerre mondiale ne manque pas d’attirer l’attention et peut expliquer la rareté des archives de cette maison d’édition. Une annonce publiée en 1959 dans le Bulletin du Bureau of Foreign Commerce à Washington suggère cependant la volonté de projection à l’international de la part d’un éditeur qui publiait en italien, en anglais et en français, et dont l’argument de vente principal était la qualité des couleurs de ses ouvrages [8]. Ceux-ci, publiés dans les années de l’immédiat après-guerre mettent en évidence des liens avec les milieux catholiques par le choix de leurs thématiques [9]. Mais ce qui est aussi frappant c’est la dimension familiale et amicale de cette entreprise révélée par l’étude des différents acteurs d’un album comme Les petits Espagnols.

Le livre fait partie de la série « Le Monde », éditée en France par les éditions Piccoli à la fin des années cinquante et au début des années soixante pour un public d’enfants entre quatre et huit ans, c’est-à-dire soit capables de s’intéresser aux images tandis qu’on leur fait la lecture, soit à même de lire seuls ce texte simple. L’exemplaire de référence est publié avec un copyright de 1957. Il s’agit de sujets repris de volumes initialement publiés en italien chez l’éditeur et sans référence à une série, celle-ci semblant avoir été constituée en un deuxième temps [10]. Il n’est pas non plus possible de parler exactement de traduction en français puisque l’ouvrage indique que le texte français est de Charlotte Penn [11], sur un sujet de Jolanda Colombini Monti, avec des illustrations de Maria Pia [12]. L’autrice et l’illustratrice ont formé un efficace binôme qui a publié plus de deux cents livres pour enfants aux éditions Piccoli de Milan. Jolanda Colombini Monti (1911-2003), connue comme la Mamma Serena, fut l’autrice de jeunesse la plus féconde et la plus lue dans l’Italie d’après la Seconde Guerre mondiale (fig. 2). Ses activités artistiques et culturelles furent nombreuses : poétesse, metteuse en scène, journaliste, parolière… Elle fut à l’origine de la création de l’Association nationale du cinéma éducatif en 1952 et fit partie à plusieurs reprises du jury du Festival de Venise dans la section cinéma pour enfants. Sa complice pour de nombreux albums fut Maria Pia Franzoni Tomba [13] au style facilement reconnaissable et emprunté par de nombreux illustrateurs dans ces années d’après-guerre. Ses personnages d’enfants, réduction de personnes adultes, aux joues rondes aux cheveux blonds et bouclés, au sourire permanent se meuvent dans un monde pétri de bons sentiments, dont est exclue toute forme de mal ou de méchanceté. A elles deux elles garnirent les étagères des bibliothèques de bien des enfants, avec des albums où les animaux sont doués de la parole et se font le truchement des enfants.

Jusque dans les années 1970, la maison d’édition Piccoli eut une place de choix dans le domaine de l’édition jeunesse, allant jusqu’à occuper 12% du marché italien [14]. Il est temps de s’interroger sur les origines d’une telle production en matière de littérature jeune public.

 

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[1] Kate J. Fricero, Little French People: a picture book for little folks, Londres, Blackie and Sons Ltd, 1909 ; Kate J. Fricero, Our visit to France, Blackie and Sons, 1905 ; M. O’Nel, Rosa C. Petherick, Petits amis de tous pays, Casterman, 1935, 16 p. ; Tante Nicole [Eudoxie Dupuis], Jean Geffroy, Les petits parisiens, Paris, Delagrave, 1924.
[2] Pierre Probst, Caroline aux Indes (1955) ; Caroline en Europe (1960) ; Caroline au ranch (1961) ; Caroline au Pôle Nord (1962) ; Caroline au Canada (1967)…
[3] La formule faisait partie de la déclaration d’intention des Collections Microcosme en 1957.
[4] L’appellation peut être considérée comme opérante depuis l’article synthèse de David Martens « Portraits phototextuels de pays. Jalons pour l’identification d’un genre méconnu », PUF, Communication et Langage, n° 202, 2019, pp. 3-24 (en Ligne. Consulté le 15 juillet 2022).
[5] Le Avventure di Pinocchio. Storia di un burattino, Florence, Paggi, 1883.
[6] Paul Hazard, « La littérature enfantine en Italie », La Revue des deux mondes, 15 février 1914 (en Ligne. Consulté le 15 juillet 2022).
[7] « […] l’acquisizione nel 1990 della casa editrice Piccoli di Milano, specializzata nella publicazione di testi di narrativa e varia per i più piccoli, fu uno stimolo determinante per l’avvio della publicazione di testi scolastici per la Scuola Primaria e successivamente anche per la Scuola dell’infanzia » [« L’acquisition en 1990 de la maison d’édition Piccoli de Milan, spécialisée dans la publication de textes narratifs sur des sujets variés pour les enfants, fut une incitation déterminante pour le lancement de la publication de textes scolaires à destination de l’école primaire et par la suite de l’école maternelle »], page internet « Chi siamo » du Gruppo editiorale Il Capitello (en Ligne. Consulté le 15 juillet 2022). Sur son site, l’entreprise s’inscrit dans la tradition du libre scolaire : « Le Edizione Il Capitello nascono nel 1983 dall’esperienza acquisita nel corso degli anni nel campo della promozione di libri scolastici da tre fratelli torinesi, Carlo, Aldo e Davide Castellano » [« Les éditions Il Capitello, fondées en 1983 à partir de l’expérience acquise au fil du temps dans le domaine de la promotion du livre scolaire par trois frères turinois Carlo, Aldo et Davide Castellano »], page internet « Chi siamo » du Gruppo editiorale Il Capitello (en Ligne. Consulté le 15 juillet 2022).
[8] L’encart est formulé de la façon suivante : « Children’s books of history, culture, and nature, with texts in Italian, English or French, are offered for reproduction and sale in the United States by the Italian firm, Casa Editrice Piccoli di Osvaldo Doci & Co. PICCOLI, reportedly one of the largest publishers of children’s books in Italy, is prepared to provide the American Licensee-publisher with approximately 200 separate publications. All books have a number of coloured pictures ranging from four to six colors, with covers in some publications having as many as seven colours. Correspond direct with Casa Editrice PICCOLI di Osvaldo Dolci & Co, via N. Battaglia 8, Milan, Italy » [« La maison d’édition italienne Casa Editrice Piccoli di Osvaldo Doci & Co propose des livres pour enfants en italien, anglais ou français ayant trait à l’histoire, la culture et la nature à des fins de reproduction et commercialisation aux Etats-Unis. PICCOLI, qui serait l’un des plus grands éditeurs de livres pour enfants en Italie, est prêt à mettre à disposition de l’éditeur américain autorisé quelque 200 références différentes. Tous ces ouvrages comportent des images couleur, entre quatre et six couleurs, et une couverture qui, pour certains titres, n’en compte pas moins de sept. Contacter directement Casa Editrice Piccoli di Osvaldo Doci & Co, via N. Battaglia 8, Milan, Italie. »] dans Investment Opportunities Abroad – US Department of Commerce – Bureau of Foreign Commerce (Washington), Bulletin n° 136, 16 février 1959).
[9] Ainsi en 1949, Jolanda Colombini et Mariapia publiaient dans la Collane Stelline, Vacanze di Gesù Bambino.
[10] En 1949 un inventaire de la Collana Il Mondo 1, répertorie 8 volumes qui n’ont pas tous fait partie de la série Le Monde : Moretti in festa ; Viaggio nella Scozia ; Nel paese dei ghiacci ; Un giorno alle Haway ; Allegri Cinesini ; Intrepidi Cow-Boys ; Cuffiette Olandesi ; Piccoli Pellirossa.
[11] Le nom de Charlotte Penn, qui travaillait pour la maison Piccoli en Italie, est associé à la publication en français de nombreux ouvrages pour enfants De fait, il s’agissait d’un des pseudonymes utilisés par Ester Dolci De Pilato, épouse en secondes noces de l’éditeur Osvaldo Dolci, du nom de son arrière-grand-mère. Ester Dolci De Pilato (née à Lucera le 26 novembre 1917 et décédée à Milan le 10 janvier 2001) était diplômée d’une maîtrise de Lettres (littérature italienne) à l’université de Bologne. Avec sa famille elle avait déménagé pour Milan où elle épousa le lieutenant Ruggero Malagoli, dont elle eut un fils. Veuve de guerre, elle se tourna vers l’écriture pour enfants et proposa ses textes à la maison d’édition Piccoli, qui les accepta. Rapidement entre elle et l’éditeur, veuf également, une relation amoureuse s’établit et ils se marièrent en 1948.
[12] Mariapia Franzoni Tomba (1902-1978), de son nom complet.
[13] Parmi les illustrateurs de la maison d’édition figure le nom de Bruno Tomba, sans doute l’époux de Maria Pia Franzoni Tomba.
[14] L’information est donnée sur un site allemand répertoriant les éditeurs de littérature jeunesse : « Ende der 1970er Jahre erreichte Editrice Piccoli Milano in Italien einen Marktanteil von 12% auf dem Kinderbuchmarkt. », dans Vintage Books Alte Kinderbilderbücher für Liebhaber und Sammler (en Ligne. Consulté le 15 juillet 2022).