Note de recherche sur les ornements
typographiques

- Françoise Weil
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Fig. 1. A. G. Monnet, Nouveau système de
minéralogie
, 1779


Fig. 2. Voltaire, Candide, 1778


Fig. 3. Indicateur alphabétique de Lyon, 1787

      Je travaille depuis longtemps sur ce qu’on appelle les ornements typographiques des ouvrages du XVIIIe siècle : de bois puis à la fin de l’Ancien Régime parfois de fonte, ils sont rarement signés et sont en général la propriété d’un imprimeur donné qui les fait faire et les utilise à son gré.
      Marius Audin se demandait il y a près d’un siècle : « Pourquoi a-t-on négligé, dédaigné, méprisé ainsi les petits vignettistes qui ont, tant qu’ils ont pu, collaboré avec les grands illustrateurs du XVIIIe siècle à l’ornementation du livre ? » [1].
      Dans la première moitié du XVIIIe siècle, ils ne présentent guère que des motifs classiques : géométriques, etc. Puis apparaissent les fleurs, les paysages, les maisons et les arbres. On pourrait s’attendre à ce qu’il y ait un rapport entre l’image et le texte. Il n’en est rien.
      Le cas de la Société typographique de Bouillon est intéressant car nous pouvons suivre ses publications, au moins celles parues sous son adresse réelle : elle publie deux ouvrages en 1768, au moins 11 en 1769 et au moins 25 en 1770. Au total plus de 260 ouvrages différents de 1768 à 1797. C’est ainsi que la belle édition des Romans et contes de Voltaire (1778) comporte de nombreuses (trente-deux ?) vignettes dont certaines (treize ?) utilisées auparavant : en 1775 dans les Fables de Phèdre, en 1776 dans les Fables choisies de La Fontaine, en 1777 dans le Dictionnaire roman, walon, celtique et tudesque et dans les Eléments de seméiotique ou qu’on retrouve en 1778 dans l’Histoire du régiment d’infanterie de Monsieur, en 1779 dans le Nouveau système de minéralogie.
      Par exemple notre image n°1 (fig. 1) – un panier de fruits – apparaît à trois reprises dans l’édition de Voltaire (dans le tome I pour illustrer Babouc ou le monde comme il va) et l’année suivante dans le Nouveau système de minéralogie. Notre image n°2 (fig. 2) apparaît deux fois dans l’édition de Voltaire ; elle figurait déjà en 1777 dans le Dictionnaire roman et on la retrouve en 1781 dans deux ouvrages dont il est difficile de dire qui en furent les éditeurs réels ; l’Histoire de Laurent Marcel (Lille, Le Houcq) et Révolution de l’Amérique (Londres, L Davis). Cette vignette – deux hommes dans une barque – ressemble à une vignette utilisée en Suisse entre 1776 et 1782 et qui a été recensée par Silvio Corsini [2]. On ne peut les confondre, et on ne peut dire si l’une est copiée sur l’autre ou si elles sont toutes deux copiées sur un modèle antérieur. Il y avait bien entendu des modes. Mais ce qui nous importe, c’est que ces images qui semblent raconter un épisode d’une histoire ne correspondent pas aux ouvrages qu’elles ornent.
      Quant à l’image n°3 (fig. 3) signée du graveur Gritner, je l’ai rencontrée dix fois entre 1785 et 1804 chez des éditeurs différents ; la liste qui suit ne prétend pas être exhaustive :

 

1785 - Œuvres de Montesquieu, tome V, Lettres persanes, Amsterdam [=Lyon]
1786 - Mémoires authentiques pour servir à l’histoire du comte de Cagliostro, Hambourg, Fauche
1787 - Indicateur alphabétique pour 1788, Lyon, Faucheux
      J. H. Campe, Sammlung interessanter für die Jugend, Bd. 3 et 6
      [L. S. Mercier], Mon bonnet du matin, Lausanne, Heubach
      Œuvres diverses de Boufflers, Londres [adresse fictive]
1788 - Récit de ce qui s’est passé à l’ignoble assemblée des notables, sans adresse
1789 - Œuvres de M. L[acoste], Dijon, Frantin
1790 - Werner, Traité des caractères extérieurs des fossiles, Dijon, Frantin
1804 - Le Médecin du peuple, Lyon, frères Périsse

 

      On remarquera que ce bandeau semble avoir circulé essentiellement entre Lyon, Dijon, la Suisse et l’Allemagne. Je n’ai d’ailleurs pu trouver de renseignements sur ce graveur au nom plutôt germanique.
      En conclusion je dirais volontiers que les imprimeurs et les graveurs ne considéraient pas qu’il pût y avoir un rapport entre leurs ornements et les textes des ouvrages.

 

>sommaire

[1] M. Audin, Essai sur les graveurs de bois en France au dix-huitième siècle, Paris, C. Grès, 1925, p. vi.
[2] S. Corsini, La Preuve par les fleurons ? Analyse comparée du matériel ornemental des imprimeurs suisses romands 177561785, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 1999 (n°21-03).