O Révolution :
Du calligramme à l’OLNI

- Pierre Duplan
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pages 1 2 3 4 5 6

Fig. 42. M. Z. Danielewski, O Révolutions,
2006, pp. 1 et 360

Fig. 44. M. Z. Danielewski, O Révolutions,
2006, pp. 180 et 181

Déclaration d’intention sur la page de titre : « Ceci est une œuvre de fiction. Bien que plusieurs personnages, actions et échanges s’alignent avec des événements historiques, la totalité du roman – mécanisme, mouvement, motif – est le produit de l’imagination de l’auteur ».

Mode d’emploi : L’éditeur recommande de lire alternativement huit pages du récit de Sam et huit pages du récit de Hailey, pour découvrir deux versions de la même histoire.

« D’entrée de jeu, le lecteur se retrouve piégé entre liberté et contrainte, puisqu’il doit choisir son rythme de lecture. Contrainte paradoxale : choisir telle ou telle liberté… », explique Claro.

Le roman présente les récits parallèles de la road-movie de deux adolescents amoureux, un garçon Sam, Haley une fille, qui traversent les Etats-Unis dans des voitures différentes, « empruntées » sans aucun doute, « odyssée », selon Claro, « qui facilite l’expérience de leur liberté dans un pays qui a une histoire faite précisément de luttes diverses pour garantir cette liberté ».

 

Une page en quatre

 

Mark Danielewski s’est imposé des contraintes formelles précises, respectées dans l’adaptation Denoël : 360 pages de 36 lignes pour accueillir 360 mots à la page (figs. 42, 43, 44). On ne peut que penser à La puissance du 12, chère à Mallarmé, dans l’organisation typographique du« Coup de Dés », ou au rythme des alexandrins de Valéry, pour « Le Cimetière marin », même si cette puissance est multipliée par trois. On peut évoquer aussi la Bible de Gutenberg… La lecture confirme une virtuosité typographique rare : deux colonnes de textes différents, non justifiés, dans chaque page, installent un principe de symétrie à chaque double page. « Là où le lecteur voit quatre blocs de texte, j’ai vu, pendant quelques mois, quatre livres, ouverts et maintenus verticalement sur mon bureau. J’avais quatre exemplaires ouverts, tels quatre monstrueux papillons, et mon œil et mes doigts s’efforçaient de polleniser tout ce petit monde », se souvient Claro.

La première colonne, proche de la couture, toujours coiffée d’une date, imprimée en violet, parcourt l’histoire du monde et des USA, depuis le 23 novembre 1863 au 19 janvier 2063 ; elle est composée en linéale, le nombre de lignes n’est pas fixé ; du 18 janvier 2006 au 19 janvier 2063, l’auteur évidemment laisse des blancs… La fiction rejoint la réalité. A ces chromosaïques en blocs de 90 mots, difficiles à traduire parce qu’incompréhensibles quelquefois en l’absence de référent… le traducteur, avec l’accord de l’auteur a « substitué d’autres bribes historiques voire personnelles… et utilisé la fonction "statistiques" de son traitement de texte. La contrainte est une source, pas une impasse ».

La deuxième colonne de texte présente les récits de Sam et Hailey. Chacun commence, de son côté, en page 1 pour finir en page 360 ; dans la double page du milieu 180/181, les deux récits qui se croisent partagent équitablement le centre géométrique du livre. La construction symétrique des deux récits installe dans le pied de la page de Sam, page 1, la page 360 de Hailey ; cette 1, page impaire est à sa place, à droite. Quand on retourne le livre la même page 1, devenue 360, page paire, est à sa place, côté gauche. Surmontant les difficultés de la traduction, l’adaptation française reproduit fidèlement la publication américaine : toutes les 40 pages, une ligne passe d’un narrateur à l’autre.

Page 1 côté Sam :

    22 lignes de Sam + 14 lignes de Hailey = 36 lignes

Page 41 côté Sam

    21 lignes de Sam + 15 lignes de Hailey = 36 lignes

Pages 180/181 côté Sam

    18 lignes de Sam + 18 lignes de Hailey = 36 lignes, etc…

Précision ultime : quel que soit le nombre de lignes, le bloc comprend 90 mots.

Sam 90 + Haley 90 + chromosaïques 90 x 2

Au total : 360 mots à la page.

 

Protocole typographique

 

Le générique typographique :

DANTE MT…    titres

LUCIDA……   ∞

PERPETUA…     dédicace

TEMPO…    dates

MYRIAD PRO… chromosaïques

SPECTRUM MT Sam ou Hailey

& UNIVERS 57  folios

concerne l’édition américaine originale. L’adaptation française, en Times évidemment.

Le protocole typographique adopté, réduit toutes les 40 pages, l’encombrement vertical des caractères de la page 1 à la page 360, ce qui accompagne la modification progressive et systématique de la structure et facilite la perception des changements. Le même protocole, dans un caractère différent, gouverne la colonne des chromosaïques : le texte se module dans les mêmes proportions que la colonne de récits. Il est vraisemblable que les corps de caractères adoptés dans les pages centrales 180/181, soient les bases à partir desquelles s’organisent les fluctuations constatées. Les récits en corps 11 sur 18 expriment l’égalité des deux héros, des deux discours, des deux situations.

En typographie plomb, l’augmentation ou la diminution à partir du corps 11 serait systématique, plus contrastée, mécanique dans le sens de l’augmentation

   en partant de 11……… C.12/C.14/C.16/C.18.

   ou dans le sens de la diminution :

   en partant de 11………C.10/C.9/C.8/C.7.
On enseignait qu’il fallait obligatoirement une différence de deux points 8/10/,10/12,… pour que le lecteur perçoive la modification du texte. Plus subtil l’ordinateur offre une souplesse inconnue pour modifier en pourcentages progressifs, non systématiques, toutes les données typographiques : encombrement vertical, chasse, approches, interlignage, etc…

« Effet visuel, effet cinétique : l’œil expérimente l’éloignement, physiquement, tout en ayant le sentiment d’une voix qui meurt, décroît », constate Claro.

   La lettrine S inaugure le récit de Hailey.

   La lettrine H inaugure le récit de Sam.
Toutes les huit pages, une nouvelle lettrine apparaît complétant le nom… A… M… Le texte acrostiche donne SAM AND HAYLEY ; du côté de Sam, l’acrostiche donne HAYLEY AND SAM… comme une boucle ou une guirlande. L’acrostiche, secret pour initié, permet de cacher une vérité inavouable : à la Renaissance, l’acrostiche Poliam frater Franciscus Colomna peramavit. – le père François Colonna a adoré Polia – donne la clé du Songe de Poliphyle, roman d’amour écrit par un moine.

 

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